roits de l'Homme –
Ludovic-Trarieux »
CEREMONIE DE REMISE 2014 (PDF)
THE LUDOVIC-TRARIEUX PRIZE 1985 (PDF)
attribué à
Mahienour el-Massry
(Egypte)
Prix Ludovic-Trarieux 2014
« …successivement emprisonnée par Moubarak, Morsi et al-Sissi"…. »
Le XIXème Prix International
des droits de l'homme Ludovic-Trarieux 2014
Les 24 avocats européens membres du
Jury, représentant les barreaux de Paris, Bordeaux, Amsterdam, Berlin,
Bruxelles, Genève, Luxembourg, Rome, l’Institut des Droits de l’Homme des
Avocats européens (IDHAE) et l’Union Internationale des Avocats (UIA)[i], réunis à la maison de Paris, ont
attribué le XIXème prix Ludovic Trarieux à l’avocate
égyptienne d’Alexandrie, Mahienour el-Massry.
Militante de droits de l’homme
l’avocate a été plusieurs fois emprisonnée sous le régime du président
Moubarak. Figure de proue du soulèvement qui a renversé Hosni Moubarak, a
continué la lutte après le « printemps arabe » et a été une des
figures de la révolution égyptienne de 2011 et a été a
nouveau condamnée sous les régimes Morsi et al-Sissi.
Elle est emprisonnée depuis le 20 mai 2014 pour purger une peine de deux ans de
prison pour « participation à une manifestation non autorisée » en
décembre 2013.
Le Jury avait lancé un appel aux
autorités égyptiennes pour qu’elles libèrent immédiatement et sans condition Mahienour el-Massry. Mahienour
El-Massry avait été libéré de prison le 21 septembre 2014, après avoir purgé
quatre mois d’une peine de six mois pour avoir participé à une
"manifestation illégale".
30 ans après sa création, en présence
de Robert Badinter, à Bordeaux, en 1984, c’est à Florence cette année, à
l’occasion du congrès de l’Union internationale des avocats, qu’a été remis le
XIXème prix Ludovic Trarieux, remis à « un avocat qui
a illustré par son œuvre, son activité ou ses souffrances, la défense du
respect des droits de l'Homme, des droits de la défense, la suprématie du
droit, la lutte contre les racismes et l'intolérance sous toutes leurs formes
».
Biennal à l’origine, le Prix est
décerné depuis 2003, chaque année conjointement par l’Institut des Droits de
l’Homme du Barreau de Bordeaux, l’Institut de Formation en Droits de l’Homme du
Barreau de Paris, l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Bruxelles, l'Unione forense per la tutela dei diritti dell'uomo (Rome) la Rechtsanwaltskammer
de Berlin, le barreau de Luxembourg, le barreau de Genève, le barreau
d’Amsterdam ainsi que l'Union Internationale des Avocats (UIA) et l’Institut
des Droits de l’Homme des Avocats Européens (IDHAE), dont sont membres de
grands barreaux européens investis dans la défense des droits de l'homme.
La
lauréate de cette année était Mahienour El-Massry, une jeune avocate égyptienne de 28 ans, plus jeune
que le prix lui-même, ainsi que l’a souligné le bâtonnier Bertrand FAVREAU,
fondateur du prix et président du jury. Libérée de prison à la suite d’appels
réitérés du jury du prix depuis sa désignation le 25 juin, la lauréate a dédié
son prix à ses camarades de détention toujours en prison qui n’avaient pas eu
la même chance qu’elle.
La
cérémonie présidée par le président Stefen L. DREYFUSS,
président en exercice de l’UIA, a été ouverte par le bâtonnier de Florence,
Sergio PAPARO, qui a confié à l’assistance présente « Je tiens à déclarer
qu’aujourd’hui nous sommes tous Mahienour El-Massry! ».
Mahienour
El-Massry a ensuite reçu l’hommage des barreaux
européens qui contribuent à la dotation du prix (20 000 €). Ce
furent ainsi successivement les bâtonniers l’exercice de Bruxelles, Genève,
puis les représentants des barreaux de Paris, Berlin ,
Amsterdam, qui ont exprimé leur soutien à la lutte que mène Mahienour
El-Massry pour une société plus juste et un monde
meilleur. En remettant lui-même le prix 2014, le président Stefen
L. DREYFUSS a dit combien il était heureux de pouvoir remettre à l’occasion
d’un congrès de l’UIA (le 58e) le prix Ludovic Trarieux,
à la dotation duquel l’UIA participe depuis de nombreuses années.
L’Hommage des avocats européens.
Discours
prononcé par
M.
le bâtonnier Sergio PAPARO,
Batônnier du barreau de Florence
Hautes Personnalités, Cher hôtes, Chers Confrère, Chères
Consœurs
Au nom du Barreau de Florence, de ses presque cinq mille
membres, de tous les avocats qui participent aux travaux du Congrès de l’UIA,
je tiens à déclarer qu’aujourd’hui « nous sommes tous Mahienour
El-Massry! ».
Nous avons l’honneur et le privilège de nous reconnaître en
Toi, chère Consœur, et nous avons été par idéal à tes côtés pendant les
terribles jours de ton injuste emprisonnement.
De même que nous sommes tous aux côtés de beaucoup de « Mahienour El-Massry » qui en
divers lieux du monde, où l’on assiste indifférents aux violations continus des
droits de l’homme, sont en train de lutter pour la défense des plus faibles
souvent au risque de leur propre vie.
Les avocats de Florence sont reconnaissants à l’Union
International des Avocats d’avoir décidé de tenir à Florence son 58° Congrès et
je remercie le jury du Prix Ludovic Trarieux de
m’avoir demandé de participer à cette cérémonie.
Florence, ses citoyens, ses juristes, ses avocats, sont
depuis toujours engagés dans la promotion des droits de l’homme.
Je l’ai rappelé hier, en adressant le salut du barreau aux
travaux du Sénat de l’UIA : c’est la Toscane du Grand-Duc Pietro Leopoldo qui
fut le premier Etat au monde, à décider de l’abolition de la peine de mort et
de la torture par la Loi de Réforme Criminelle du 30 novembre 1786. Une plaque
de marbre blanc de Carrare le rappelle à l’entrée du Palazzo
Vecchio, sur la place de la Signoria.
Pendant des siècles, Florence et la Toscane ont été les
promotrices d’une réflexion sur la chose publique et sur les valeurs qui
fondent une communauté, en premier lieu le respect et la promotion des valeurs
d’égalité et solidarité, qui animent et renforcent, la conscience et le
sentiment d’une société forte et partagée.
Il y a quelques semaines nous avons dédié l’Auditorium du
Barreau, dans le nouveau Palais de Justice, à Adone Zoli, premier Président du Barreau de Florence après la
libération, puis du Conseil National Barreau, et plus tard Ministre de la
Justice, avant de devenir Président du Conseil des Ministres en 1957.
C’est en se référant aux valeurs d’égalité et de
solidarité, comme principes cardinaux des droits de l’homme, que le Conseil du
Barreau présidé de Adone Zoli,
a décidé comme premier acte de sa charge, le 20 septembre 1944, la réintégration
des avocats juifs écartés en exécution des lois racistes honteuses de 1938.
Ces mêmes valeurs inspirent, aujourd’hui encore, l’action
et les choix du Conseil que j’ai l’honneur de présider : c’est en leur application
que chaque année, le 27 janvier, nous commémorons le « jour de la mémoire » ;
c’est en leur application que nous avons souscrit, le 4 septembre 2013,
l’accord de coopération avec l’ordre des avocats palestinien auquel au cours de
ces journées nous avons donné une réalisation concrète.
Nous sommes avocats, chers Confrère, et justement parce que
nous portons la robe qui est le symbole de la défense des droits, nous
ressentons tous l’importance des droits de l’homme et nous sommes prêts, avant
toute chose, à les défendre et à les promouvoir avec force, parce qu’il
n’existe pas de valeur si elle n’est pas ressentie et partagée.
La valeur des droits de l’homme, dès lors, ne peut pas être
envisagée que du point de vue de leur reconnaissance, qui constitue le
préalable indispensable à la détermination de notre action en leur faveur.
Ce qu’impose la contingence des temps modernes, où certains
pays sont en train de mourir et avec eux l’Etat de droit et l’institution
judiciaire, c’est la mise en place des mécanismes de défense des droits
fondamentaux des vaincus, comme précisément la dramatique expérience de notre
consœur, Mahienour El-Massry
en témoigne.
Si nous regardons autour de nous, nous voyons avec
effarement que la « justice du vainqueur » prend trop souvent le dessus, et en
arrive à violer ou à nier le fondement moral même de la Justice que nous,
Avocats, nous servons.
Comme Avocats, et comme responsables de nos associations et
ordres respectifs, nous devons être une protection solide, mais surtout
effective, de la plus haute conception de la Justice. La reconnaissance de
l’importance des droits de l’homme est un devoir que nous avons envers ceux que
nous défendons ; et il est de notre responsabilité précise de faire en sorte
que dans les organes dans lequel nous intervenons, comme structures de la
société au sens large, se développent et se renforcent des contre-pouvoirs
autonomes et informés.
Notre fonction structurelle de protection mais aussi de
progrès de la famille humaine est soulignée par le préambule de la Déclaration
Universelle des Droits de l'Homme signée à New York, il y a 66 ans, qui
proclamé « comme l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les
nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant
cette Déclaration constamment à l'esprit, s'efforcent, par l'enseignement et
l'éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d'en
assurer, par des mesures progressives d'ordre national et international, la
reconnaissance et l'application universelles et effectives […] ».
Une lourde mission , certes, mais au fond chacun d’entre
nous a juré de la remplir du mieux de ses possibilités mais aussi en sachant
qu’il peut compter sur la collégialité mais aussi les instruments de protection
dans notre profession, comme nous le rappelle l'art. 44 des Principes base des
Nations Unies sur le rôle des avocats adoptées à la Havane en 1990 : « les
avocats, en protégeant les droits de leurs clients et en promouvant la cause de
la justice, doivent chercher à faire respecter les droits de l'homme et les
libertés fondamentales reconnus par le droit national et international et
agissent à tout moment librement et avec diligence, conformément à la loi et
aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d'avocat ».
Ces instruments, nous pouvons les mettre en œuvre dans
notre travail de chaque jour, surtout dans les zones géographiques où nous
avons la chance de travailler dans un environnement juridique moderne et
préservé.
Vous me permettez donc de citer aussi le Préambule de la
Convention Européenne pour la Sauvegarde des Droits de l'homme et des Libertés
Fondamentales signé à Rome en 1950: « Réaffirmant leur profond attachement à
ces libertés fondamentales qui constituent les assises mêmes de la justice et
de la paix dans le monde et dont le maintien repose essentiellement sur un
régime politique véritablement démocratique, d'une part, et, d'autre part, sur
une conception commune et un commun respect des droits de l'homme dont ils se
réclament »
Grâce à la création de la Cour Européenne des Droits de
l’Homme en 1959, nous sommes particulièrement, nous Avocats, en premier ligne
pour garantir que ces droits soient effectivement protèges et respectés envers
chaque individu qui se trouve sur le territoire de l’un des 47 Etats membres
qui accordent leur citoyenneté à 820 millions d’individus, presque un sixième
de la population du monde.
Dans le respect des principes de civil law,
nous sommes les gardiens de la législation et des procédures qui doivent respecter
les dispositions et l'âme inspiratrice de la Convention. Ceux de nos confrères
qui exercent dans les pays de common law sont les garants de ce que le modèle appliqué par leurs
propres organismes judiciaires assure le plein respect des droits de l’homme
proclamés par la Convention.
Je concluerai ma brève
intervention, en vous saluant tous, Chers Confrère, « comme Avocats de Florence
», et en célébrant, avec vous, notre consœur Mahienour
El-Massry, avec la conviction, que je sais partagée
par vous, que les valeurs dont elle est le témoignage sont la reconnaissance,
que la reconnaissance conduit à la prise de conscience, et que la prise de
conscience inspire l’action.
Discours de Bernd Haüsler
Vice Président de l'Ordre des avocats au barreau de
Berlin
à l'occasion de la remise du prix Ludovic Trarieux 2014
Monsieur
le Président, Mesdames et Messieurs les Notables,
Chère
lauréate, Chers invités,
Les bourgeons du « printemps arabe » attendus
avec tant d'impatience ont gelé dans la glace de l'hiver belliqueux au
Proche Orient. Lorsque l'on refuse la guerre, la guerre civile et toute autre
forme d'affrontement violent au sein de la société, l'on doit renforcer la
société civile et promouvoir les droits de l'Homme. Cela nécessite, entre
autres, une justice indépendante et incorruptible. Une telle justice ne peut
être atteinte, ni même imaginée, sans des avocats indépendants et courageux.
Tous ceux qui tiennent à la paix au sein et entre les Etats doivent ainsi avoir
à cœur le renforcement de la profession d'avocat à l'échelle mondiale.
Avant tout, c'est la profession elle-même qui doit
intervenir en faisant preuve de solidarité envers nos confrères qui, pour la
raison même de leur engagement en faveur des droits de l'Homme, se trouvent
dans des situations difficiles. La remise du prix Ludovic Trarieux
est une manière de se montrer solidaire de façon efficace. L'Ordre des avocats
au barreau de Berlin est reconnaissant de pouvoir y apporter sa contribution en
tant que membre de l'IDHAE. A Berlin, nous en sommes d'autant plus
reconnaissants qu'un lourd héritage pèse sur nous: lorsqu'au début du régime
nazi nos confrères et consœurs juifs furent évincés de la profession, personne
– ni dans notre pays, ni à l'étranger – ne s'interposa.
Pour cette raison, nous sommes particulièrement heureux de
pouvoir, par l'attribution du prix à Maître El-Massry,
honorer une consœur dont la situation professionnelle nous laisse constater non
sans une certaine angoisse à quel point l'activité d'avocat est importante pour
tous dans ce monde. Si la paix juridique ne peut plus être établie parce que
les droits de l'Homme sont systématiquement violés, elle laisse place à la
menace de la guerre entre les Hommes, les peuples, les Etats. Avant que ce
« tremblement » ne s'installe, l'on assiste à une entrave à l'activité
d'avocat allant jusqu'à l'emprisonnement, la torture et le meurtre d'avocats.
La persécution des avocats est comme une visualisation sismographique des
conflits violents imminents.
Jusqu'à présent, la politique n'a pas encore totalement
compris ce lien. Il est de notre devoir en tant qu'avocats de faire prendre
conscience de cela aux politiciens afin d'obtenir en temps voulu un soutien
dans nos efforts, de protéger par notre solidarité les avocats menacés, de
promouvoir les droits de l'Homme, de sauvegarder la paix juridique et d'éviter
les affrontements belliqueux. C'est pourquoi j'appelle les membres de l'IDHAE
mais aussi les organisations nationales et internationales d'avocats de faire
tout leur possible pour obtenir un soutien mondial par la politique.
Discours
prononcé par
le Bâtonnier Carnicé
Bâtonnier
de l’Ordre des Avocats de Genève
à l'occasion de
la remise du Prix Ludovic-Trarieux à Me Mahienour el-Massry
Madame la Lauréate
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Bâtonniers, Mes chers Confrères,
Il y a cinq parties du monde » disait Talleyrand au Congrès
de Vienne: « l'Europe, l'Asie, l'Amérique, l'Afrique et Genève ».
J'aime croire qu'il faisait allusion à l'esprit de Genève.
L'esprit de Genève, c'est la vocation unique de cette ville
pour les Droits de l'Homme.
Au XVIème siècle déjà, Genève était surnommée cité de
l'esprit ou cité de la tolérance.
Elle était un lieu d'accueil pour les persécutés et un
centre intellectuel rayonnant sur l'Europe entière. Une cité-refuge.
Avec le siècle des lumières, Genève s'est profilée comme
l'héritière d'une pensée proclamant à la face du monde la primauté de certaines
valeurs fondamentales de la nature humaine, soit la dignité de l'être humain et
le respect du citoyen.
On célébrait Genève au XVIIIème siècle comme un haut lieu
de la tolérance.
Genève est devenue capitale mondiale de l'humanitaire avec
la fondation du Comité International de la Croix-Rouge au XIXème siècle, ce
qu'est venu consolider la présence sur son sol du siège du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les Droits de l'Homme et de plusieurs organisations
non-gouvernementales qui défendent les droits de la personne humaine.
C'est cet esprit de Genève, incarné par trois figures
marquantes, Jean Calvin, Jean-Jacques Rousseau et Henri Dunant, qui anime en
permanence le barreau de Genève.
Et j'ai l'honneur de représenter aujourd'hui le Barreau de
Genève parce que vous avez eu la gentillesse de l'accueillir au sein de !a
convention pour l'attribution de ce prix prestigieux en 2013.
L'esprit de Genève a aussi influencé le serment que prêtent
les avocats de mon Barreau.
Ils promettent ou jurent d'exercer leur profession avec
humanité. La notion d'humanité figure dans peu de serments.
Elle est très importante.
Il s'agit d'un vrai sentiment de bienveillance, de
compassion envers les autres.
Cela suppose de pouvoir comprendre les souffrances de son
prochain et les peines de ceux qui l'entourent.
Je crois que c'est cet esprit-là qui vous habite Me el-Massry.
Vous incarnez l'idée que mon Barreau se fait de l'esprit de
Genève. Vous êtes indépendante, courageuse et profondément humaine.
Vous avez refusé au péril de votre vie, au prix de votre
liberté, de vous soumettre à l'injustice, à l'arbitraire, à la grossièreté.
Vous vous battez contre la gigantesque machine à broyer du
pouvoir.
Les régimes tyranniques se succèdent et vous êtes toujours
là, et vous ne vous taisez pas.
Vous portez haut les valeurs auxquelles nous sommes tous
attachés.
Plus que tout, mon cher Confrère, vous donnez un sens à
notre profession.
Votre combat, votre présence aujourd'hui et le prix que
vous recevez doivent rappeler à la plupart d'entre nous qu'ils ont le privilège
de venir de pays ou les avocats peuvent exercer leur métier dans la dignité, en
toute liberté, en toute indépendance, sans être intimidés, entravés, ou pire.
Le corollaire de ce privilège, c'est le soutien du Barreau
de Genève sur lequel vous pouvez compter.
DISCOURS
du Président du Jury
Bertrand
Favreau
« L’honneur, l’utile et le
bien »
Ainsi, 30 années nous séparent aujourd’hui de la date où ce prix
est né. Et, c’est devant vous, Chers amis de l’UIA, est l’occasion d’une double
célébration : le 30e anniversaire de la création. Mais aussi la deuxième
cérémonie de remise en Italie, après celle qui précéda, au Sénat à Rome, en
2008.
C’est surtout une occasion de célébrer aussi sa particulière
signification et de le rapprocher de l’intention initiale. Il serait trop
facile en effet de n’y voir par une approche réductive que son apparente
spécialisation, l’hommage des avocats à un avocat, comme une affectation
purement corporatiste. Car loin d’être l’autocélébration d’une profession, il
veut d’abord célébrer la vocation universelle des droits de l’homme qui dépasse
l’exercice d’une activité professionnelle déterminée.
Il est fondé en effet sur la croyance indéfectible en la portée
universelle des droits de l’homme dont les avocats ne sont qu’un vecteur, mais
qui obéit à une particulière exigence dès lors qu’il s’agit de la mission de
défendre.
C’est pour cela il a été décerné depuis 30 ans et qu’il a tour à
tour magnifiée le courage, l’engagement, les vertus de l’avocat sous toutes les
latitudes. Nous croyons au caractère universel du tyran protéiforme. Il n’y a
pas de spécificité régionale ou culturelle en Occident, en Orient, dans
l’hémisphère nord ou dans l’hémisphère sud. Ce sont toujours les mêmes valeurs
qui en sont les victimes.
Le plus illustre des florentins, sinon le plus Magnifique, Machiavel
raconte dans la première décade de Tite-Live quelque part, que lorsqu’Alexandre
le Grand voulu bâtir une ville pour servir de monument à sa gloire, son
architecte Dinocrate lui fit voir comment il serait
beau de l’ériger sur le Mont Athos.
Mais Alexandre refusa en demandant de laisser-là la montagne et de
bâtir Alexandrie, sur un lieu où pour les temps futurs les habitants pourraient
Louis de la beauté du pays dans une situation unique, au voisinage de la mer, à
l’ouest du delta du Nil, entre le lac Maréotis et l’île de Pharos[ii]
Cela, c’est du moins Machiavel qui l’affirme à la différence de
Plutarque qui affirme que la ville fut conçue dans un songe prémonitoire.
Toutefois, – il nous faut l’admettre–
ni Plutarque, ni Machiavel n’étaient alors présent et c’est une politesse du
cœur pour nous, ici, à Florence que préférer nous en remettre à Machiavel. Cela
nous arrange grandement.
Ainsi, cette Alexandrie créée
pour assurer le bonheur de ses habitants, allait vivre sous les auspices de la
tolérance, toujours présente depuis sa construction par Alexandre le Grand.
Toutes les communautés de la Méditerranée comme les populations lointaines, des
Arméniens aux Russes, se sont remises à vivre ensemble. La ville avait de la
place pour tout le monde: même pour accueillir les marins insurgés du Cuirassé
Potemkine après la révolution de 1905. Nul ne saurait en vouloir à ses
habitants d’aujourd’hui de vouloir être fidèles au rêve d’Alexandre.
C’est dans cette ville, qui n’est sans doute plus la ville décrite
par Lawrence Durrell, mais qui est la deuxième ville de l’Égypte
d’aujourd’hui et deux fois plus anciennes que le Caire, que commence notre
histoire.
Et, cela pourrait commencer comme un conte héroïque et cruel.
S’il s’agissait d’un conte nous serions tenté à notre tour de ré-écrire ce qu’a écrit Voltaire : « il y avait dans Alexandrie une fille célèbre par sa beauté et par son
esprit ». Pourtant ce n’était pas le début d’un conte, ni d’un un
roman. Ce n’était pas davantage un pamphlet. Ces mots n’étaient que le début du
célèbre et important examen à l’adresse de lord Bolingbroke, l’ancien
premier ministre anglais. C’est-à-dire sans doute le plus implacable des
réquisitoires, qui ait jamais été écrit contre toutes
les intolérances, notamment religieuses. Et, Voltaire nous a précisé
immédiatement : « Son nom était
Hypatie » ; rappelant ainsi que son héroïne était la fille de Théon d’Alexandrie, mathématicien et dernier représentant
connu du fameux Musée. Hypatie d’Alexandrie, mathématicienne et philosophe,
devenue dès la Renaissance une figure emblématique convoquée jusqu’à nos jours
comme porte-parole de causes les plus diverses. Celle qui n’a cessé d’inspirer
les poètes et plus récemment les cinéastes, parce qu’elle est le plus illustre
témoignage de la liberté de pensée, parce qu’assassinée par l’obscurantisme
religieux autour de l’an 415 de notre ère.
Même si d’aucuns auraient pu la reconnaître trait pour trait dans
le portrait dressé par Voltaire, notre héroïne à nous, ce soir, ne s’appelle
pas Hypatie. Elle est Mahienour d’Alexandrie.
Mahienour El-Massry, bien avant de la révolte en Egypte, se
différenciait par sa volonté d’aider des autres, ceux qui sont les plus sans
défense, ceux qui n'étaient pas apte à réclamer les propres droits pour
eux-mêmes. A Alexandrie encore enfant elle avait rencontré la désespérance
sociale.
Plus encore, elle a été marquée dans sa chair pour la vie par un
épisode de son enfance. Parce qu’enfant elle a reçu une terrible blessure à
l’œil dans un accident d’automobile alors qu’elle était à l’arrière à arrière
de la voiture de son père, elle a appris pour la suite de sa vie, que la
douleur de l’autre est toujours plus insupportables encore que la sienne, et
combien est bien plus intolérable une pauvreté qui peut aller jusqu’à pousser
les pauvres à préférer donner un de leurs yeux en échange d’une vie normale.
A cause de cela, sans doute, pour apaiser la blessure profonde du
peuple égyptien, Mahienour El-Massry
n’a pas attendu la révolte égyptienne du 25 janvier 2011. Elle n’a cessé de se
distinguer en engageant ses jeunes compétences de juriste au service de
l'indépendance du pouvoir judiciaire, des droits des détenus, du droit
d’organiser manifestation pacifistes, du soutenir aux hommes politique
prisonniers et l'usage social des médias pour dénoncer les violations des
droits de l’homme.
Elle n’a cessé de donner des conseils juridiques aux familles des
martyrs, des centaines de travailleurs licenciés sans raison valable et elle a co-fondé une association avec Mukhtar,
le «Refugee Solidarity
Network », pour dispenser une assistance médico-légale aux réfugiés
Syriens et Palestiniens, emprisonnés pour avoir réchappés à leur tentative de
rejoindre illégalement les côtes européennes par mer.
Autre recommencement … c’est à Alexandrie qu’est mort le premier
martyr du printemps, l’avvée d’avant, le 6 juin 2010.
Khaled Saïd avait 28 ans comme Mahienour aujourd’hui.
Il a été enlevé dans un cybercafé et battu à mort par deux policiers. Bien
avant le soulèvement de 2011, il est devenu le héros d’une génération et pas
seulement dans son quartier d’origine au nom emblématique de Cleopatra.
Lorsque les manifestations de soutien à la mémoire de Khaled Saïd
se sont multipliées, Mahienour a toujours été au
premier rang. Comme elle fut en première ligne au plus fort du 25 janvier 2011.
Ce 25 janvier qui marque l’anniversaire de la fondation d’Alexandrie, le 25 du
mois égyptien de Tybi (ou le 25 janvier 331 av. J.-
C.), où 100 000 alexandrins dans un long cortège pacifique et silencieux
se regroupèrent sur la route de la corniche.
Car, ce n’est pas au Caire, mais à Alexandrie que le 28 janvier,
les manifestants ont pris le dessus sur la police et que le bâtiment du
gouvernorat a brûlé. C’est le jour où il y eut les premiers morts, aussi. Cette
date est devenue pour tous, « le 28 », sans indication de mois, chiffre
emblématique – un âge, une date. Puis les manifestations n’ont plus cessé.
Sans doute Mahienour el Massry fut-elle plus une d’avant-gardiste qu’une enfant
parmi d’autres de ce que les occidentaux ont appelé, dans leur engouement sans
doute excessif et irraisonné, le « printemps arabe ». Cette vague qui
apparaissait s’être levée, enfler irrésistiblement est submergé les régimes autoritaires,
policiers et tous les autres du proche et du Moyen-Orient.
Ce printemps-là, ce prix n’avait pas attendu de le vivre ou même
de l’espérer pour pouvoir le célébrer. Même s’il est toujours plus facile de se
laisser porter, sinon bercé, par l’actualité, nous avions voulu écouter le
chant d’un printemps futur, en célébrant les souffrances de ceux qui luttaient
au cours de l’interminable hiver.
En 1996, déjà, ce prix décerné à l’avocat Najib
Hosni disait suffisamment que la Tunisie n’était pas un état de droit où les
avocats pouvaient exercer normalement leur métier. Les avocats tunisiens ont
été au premier rang de la révolution qui a renversé le régime policier. Najib Hosni, 1996 : c’était 15 ans avant.
En 2004, en remettant un prix à Aktham
Naisse, quelques semaines après avoir milité heureusement en faveur de sa
sortie de prison, en Syrie, nous avons dit et décrit ce quel était la situation
véritable de la Syrie et la réalité du combat quotidien des avocats syriens.
En 2011, nous l’avons dit encore, lors d’une élection sans
précédent qui n’avait pu distinguer que d’une voix le lauréat libyen, le jury
avait rendu hommage à un avocat égyptien, Ahmed Seif
El-Eslam dont il faut ici saluer la mémoire
puisqu’après de longues années d’un combat pour les droits fondamentaux, il
nous a quittés, il y a quelques semaines, et que ses enfants subissent à leur
tour les mêmes affres que lui, parce qu’ils poursuivent son combat. Quels
qu’aient pu être les raisons du choix final, nous avions alors proclamé que
nous n’entendions aucunement sacrifier à l’illusion du temps et que, pour la
Tunisie, l’Égypte, la Libye, comme pour les autres pays où le ferment de la
révolte n’avait pu prospérer, rien ne changerait dans notre analyse future des
situations et des hommes.
Et lorsque nous avions en remis ce prix en 2011, nous savions que
nous ne célébrions que les engagements passés et qu’il convenait expressément
de réserver l’avenir comme si nous avions su que les plus beaux élans peuvent
ne pas durer parce que la lutte pour les droits de l’homme, en Occident comme
en Orient et du Septentrion aux terres australes, doit recommencer chaque
matin. Nous observions déjà les régimes nouveaux en renforçant notre vigilance
pour d’éventuelles nouvelles victimes : « Mais, la règle de ce Prix est invariable et, si, comme dans un
cycle fatal, revenaient alors les vieux démons qui viennent parfois corrompre
les meilleures intentions de ceux qui ont accédé au pouvoir, nous
recommencerions à dénoncer. Nous devrons dénoncer le mal, toujours tapi dans l’ombre,
qui viendrait à ressurgir. »
Ainsi, ce n’est sans doute pas parce qu’elle fut une héroïne de la
révolte d’Alexandrie, mais parce qu’au-delà du 25 janvier Mahienour
a inlassablement continué la lutte sous trois présidents successifs, dont un par intérim, que
le jury lui a décerné ce prix.
A Alexandrie, 18 jours après la révolte, ce fut la délivrance. Du
moins le croyait-on alors. Aussitôt après que la corniche se fut couverte de
drapeaux aux couleurs de l’Égypte, et que la foule eut étiré sa longue procession
en un croissant humain victorieux le long de la mer, ce jour
là, le premier acte de Mahienour El-Massry fut de se rendre sur la tombe de son père et de sa
tante, les deux personnes qui ont forgé les convictions qui animent sa vie. Et
elle s’est adressée successivement à l’un et à l’autre. Se tournant vers son
père, elle a dit: «Je voudrais que tu
sois ici, il ne te plairait pas savoir ce que j’ai fait. Tu disais que le monde
ne serait jamais changé, qu'il y n'avait pas d’espoir et que la souffrance
faisait partie de la vie humaine. Je regrette, je voudrais que tu sois ici pour
voir que ceux qui s’appelaient esclaves, maintenant, ils ne le sont plus. Leur
vie sera meilleure parce qu'ils ont cru dans un rêve dans lequel ils
continueront à vivre». Puis à l’intention de sa tante: «Je voudrais que tu sois ici, tu serais
heureuse de dire à tous eux que tu avais raison, à tous ceux qui disaient que
rien serait changé»[iii]
Car, Mahienour El-Massry
croyait en un changement du système égyptien mis en marche par les citoyens et
remontant jusqu’au sommet de l’Etat. Elle espérait que tous allaient être les
acteurs de ce changement. Mais il y eut « l’après 2011 ». C’est bien ceux-la que nous célébrons aujourd’hui : ceux qui ont
continué le combat immuable. Ceux qui, comme Mahienour
el Massry, n’ont pas accepté qu’on leur vole leur
révolution. La révolte avait pour objet de changer de régime, pas de changer de
tyran.
Mahienour El-Massry l’a écrit: «Nous
avons pensé que le changement politique conduirait à un changement dans la
société. …Les gens méritent mieux que cela, nous ne sommes pas encore parvenus
à la justice. Nous avons continué à essayer de construire une société meilleure !». Avant elle, très loin de là, sous le ciel birman, Aung San Suu Kyi, l’avait bien
expliqué : « Sans une
révolution de l’esprit, les forces qui ont produit les iniquités de l’ordre
ancien continueront de prévaloir… »[iv]
Mahienour, elle, sait à quoi
aspire uniquement la majorité du pays s’est le droit au Pain, à la Liberté, à la Justice Sociale et à la Dignité Humaine. Elle nous rappelle que ce
« printemps » n’était pas celui que nous autres occidentaux auraient
par confort voulu y voir, mais qu’il ouvrait un cycle nouveau. Le chant du
printemps, celui du Jasmin, du Papyrus ou du Lotus n’est pas le chant d’un
instant. Il est une mélopée pour la fin du temps. Il est un refrain, qui doit
être toujours ré-entonné quelque part.
Alors, Mahienour a été le fer de lance de
l’après-révolution, des nouvelles manifestations, sur la place Mansheya, sur la place de la garde Sidi Gabès, autour de la
mosquée Qaed Ibrahim. Lorsqu’en 2013 est intervenue
la loi anti-manifestations qui interdit la réunir de 10 personnes ou plus sans
un permis délivré par les autorités, elle a encore manifesté.
A ces manifestations, Mahienour à
apporter son énergie en même temps que sa sérénité, illustrée par son sourire.
Car la détermination de son message est toujours ourlée d’un indéfectible
sourire. C’est ce sourire qu’elle nous apporte ici ce soir, dans cette ville de
Florence – croisée des itinéraires ou ironie des rencontres – dans cette ville
où fut peint le premier, et plus fameux, le plus les éternel sourire de la
peinture.
Mais le sien n’est pas un sourire énigmatique, un sourire qui
s’ébauche, à peine esquissé, avant de s’éteindre. Ce n’est pas le début d’un
rire. Non, c’est un sourire indéfinissable, un sourire franc, sans retenue ni
afféterie, un sourire naturel, comme l’affleurement d’une âme apaisée, fier de
son combat est sûr d’une victoire inéluctable. Un sourire immuable, celui de la
sérénité.
Le 2 Janvier 2014, Mahienour été
condamné par un tribunal d'Alexandrie a deux ans Pour avoir participé à une
manifestation pacifique au cours du procès des assassins de Khaled Saïd. Ils
n’étaient que 19 manifestants. Malgré cela, les forces de sécurité avaient eu
recours aux grenades lacrymogènes. La peine a été confirmée le 20 mai, et elle
a aussitôt été jetée en prison.
Mahienour est allée en prison
parce qu’elle continuait de défendre la liberté d’opinion, la liberté de penser
et la liberté de manifester, l’une de ses composantes les plus exigeantes un –
la preuve en est que dans tous les pays elle était surveillée, encadrés,
jugulée, et parfois même dans les pays les plus démocratiques, vidée de sa
substance. Elle a continué à lutter pour la faculté de s’opposer, la liberté de
s’indigner et de le faire savoir publiquement, consubstantiels à la démocratie
A peine condamnée, elle a refusé de se taire face à l'injustice,
et a crié plus fort encore: «A bas la loi
anti-manifestation». Depuis sa prison, a rejeté toute amnistie, tant que la
loi anti-manifestation ne sera pas abrogée et elle s’est interrogée sur
l’étrangeté de la situation : «Nous avons
protesté pour faire tomber un système politique et judiciaire et, maintenant,
qu’il y a un régime qu’est arrivé au pouvoir par les manifestations, il nous
met en prison pour avoir manifesté »[v].
Le 25 Juin, alors qu'elle était encore en prison, elle a appris
qu'elle avait remporté le prix international des droits de Ludovic-Trarieux. Immédiatement, le jury a appelé les autorités
égyptiennes à libérer immédiatement et sans condition Mahienour
El-Massry.
Lorsque le 20 juillet elle a à nouveau comparu, détenue, devant
une cour d’Alexandrie, elle a été enfermée dans une cage de fer grillagée, vêtu
de sa chasuble pénitentiaire, une chlamyde blanchâtre, bleutée ou délavée, et
elle a offert au monde qui l’observait, son immuable sourire et le
« V » de la victoire.
Certes, ce n’était pas son sourire habituel. Le sourire de ce
printemps toujours recommencé, parce qu’il ne doit pas cesser avant le vrai
succès.
Son sourire était strié par les barreaux de sa cage judiciaire,
quadrillé par le grillage, c’était un sourire de liberté : Gandhi avait raison
: la liberté se conquiert dans les
prisons.
Beaucoup ont proposé à Mahienour El-Massry d'échapper, de quitter l'Egypte et de lutter contre
le régime de loin; mais elle n'a jamais accepté: « J’aurais bien aimé pouvoir m’évader et me cacher mais en réalité je n’y
arrive pas. Je sens qu’il faut que je fasse front, même si ce face-à-face n’est
pas vraiment en notre faveur dans l’équilibre des forces, mais c’est avant tout
important pour mon bien-être psychologique…. Si l’on mérite d’être puni pour avoir rêvé d’une vie meilleure pour
l’humanité, alors que l’on soit puni, et puis c’est tout »[vi].
Cela s’appelle le courage. La revendication de l’universel exige
du courage. Alexandre Soljenitsyne l’avait dit à Havard,
en 1978 : « faut-il rappeler que le
déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la
fin ? »[vii]
Et chacun ici connait déjà la suite de l’histoire. La peine a
ensuite été réduite à six mois de prison le 20 Juillet 2014. Mais le 21
Septembre, la Cour d'appel a décidé de la libérer en cours d’exécution. Mahienour, cependant, n’a pas oubliée ceux qui sont moins
chanceux qu’elle, et continue d'aller voir les prisonniers dans les prisons et
crier haut et fort « manifester est notre droit, nous rejetons
l'anti-manifestation »[viii]
Il ne s’agissait pas d’un
aboutissement mais d’un simple commencement. Ce que nous célébrons ici, c’est
le respect des droits de l’homme qui ne s’apprécie jamais à l’aune de ceux qui
les proclament mais dans le cri de ceux qui souffrent de leur absence, de leur
insuffisance ou de leurs déviances. Les droits de l’homme ne sont une
aspiration universelle que dans la quête exprimée par les victimes qui y
aspirent, qui les revendiquent, jusqu’au sacrifice pour en jouir, non pas pour eux-mêmes,
mais pour tous les autres.
Mahienour est le symbole de
cette universalité ressourcée, revendiquée, exacerbée.
Il y a un
poème posthume de Leopardi qui s’appelle : « Le genet ou la fleur
du désert ». C’est plus une parabole ou un apologue qu’un poème. Il
apostrophe une dernière fois un « siècle superbe et sot », en parlant
au « souple genet » - « E tu, lenta ginestra » -
symbole d’une humanité qui résiste aux forces hostiles, et il lui dit :
«Il tuo capo innocente
Ma non piegato insino allora indarno
Codardamente supplicando innanzi
Al futuro oppressor;
ma non eretto
Con forsennato orgoglio
inver le stelle,
Né sul deserto, dove
E la sede e I natali
Non per voler ma per fortuna avesti;
Ma più saggia, ma tanto
Meno inferma dell'uom… »[ix]
C’est la raison pour laquelle le jury a choisi cette année de
décerner le prix à une très jeune avocate, sans doute, à ce jour, la plus jeune
puisque – fait singulier - elle est la première lauréate plus jeune que le prix
lui-même.
Nelson Mandela était encore en prison, déjà depuis 25 ans, et
encore pour trois ans, lorsqu’elle est née.
Mahienour el Massry illustre mieux que tout autre ce que nous savions
déjà : être avocat c’est un état d’esprit.
Elle nous dit plus encore.
Un grand avocat Florentin, d’un autre temps – car il fut d’abord
un avocat illustre même s’il fut il est vrai par la suite plus connu pour ses
talents de diplomates ou son œuvre d’historien - Francesco Guichardini
- que les Français appellent Guichardin – et qui n’était pas à vrai dire un
grand apôtre de la liberté, avait su s’opposer, au moins sur un point
ontologique, à Machiavel.
Tandis que Machiavel affirme, au chapitre 25 du Prince, que la fin
poursuivie par chaque individu dans sa vie était inexorablement « la gloire
et la richesse », Guichardin répondait que la gloire et la richesse ne
sauraient en aucun cas constituer l’aiguillon de l’existence humaine. Il dit,
au contraire, dans ses Ricordi, que « tous
les hommes n’ont jamais eu d’autre quête que
l’honneur et l’utile »[x].
Ludovic Trarieux, lui aussi, écrivait, à
22 ans à peine : « Lorsque le soleil pâli du dernier rivage sera venu
glacer nos fronts, nous n'emporterons de ce monde que ce que nous y aurons fait
de grand, d'utile et de bien ! »[xi]
L’honneur, l’utile et le bien ?
À l’orée d’une si jeune existence, à
l’aube de sa carrière exigeante, dévouée à tous ceux qui sont sans droit, elle
illustre mieux que nous tous : le bon, l’utile et le bien.
Ainsi Mahienour el Massry
renvoie sur nous un peu de cet honneur et de cette utilité qui rejaillissent
sur ceux qui exercent le même métier.
Dans l’éclat de sa jeunesse, Mahienour
nous contemple ici du haut de ses 28 ans. Elle donne une leçon aux plus
anciens, elle nous permet d’être plus fiers de ce que nous sommes. C’est pour
cela que les avocats du monde que vous êtes, vous qui célébrez la défense de la
défense, vous vous inclinez devant elle, en cet instant, où va lui être remis
ce prix.
THE
LUDOVIC-TRARIEUX PRIZE 2014 (Speech by Mahienour El Massry)
Mahienour El-Massry
Discours d'acceptation pour
le Prix Ludovic Trarieux
2014
Chers serviteurs de la
justice et défenseurs des Droits de l'Homme,
Aujourd’hui, je suis ici
physiquement avec vous, alors que cela
aurait pu ne pas être possible parce que j’ai été emprisonnée dans une prison
par le Maréchal El Sisi comme plus de 41 milles
prisonniers politiques. J’ai été accusé comme 8 autres personnes, dont quatre
d’entre elles sont encore en prison pour purger
une peine de deux ans. J’ai été condamnée à la peine de deux ans et la
peine a été réduite en appel et puis suspendue grâce au votre solidarité et à
vos efforts. J’ai eu plus chance que les autres personnes qui ne reçoivent pas
beaucoup d'attention.
Je me suis étonnée quand
j’ai su que j’avais gagné ce prix prestigieux, à ce moment-là j’étais en prison
privée de tous les types de communication avec le monde extérieur.
Je ne crois pas avoir mérité
ce grand honneur puisque depuis longtemps j’ai fait partie d’un groupe
plus important, d’abord en tant que socialiste révolutionnaire, jusqu’à ce
que je devienne avocate volontaire pour
défendre les manifestants d’Alexandrie,
une militante pour dire non aux procès militaires et du mouvement de
solidarité aux réfugiés, mais surtout l'un des millions d'Egyptiens qui avaient
rêvé la justice, nous avons fait une révolution qui a renversé deux dictateurs
et nous croisons les doigts pour qu’elle renverse le troisième.
Je me réfère à celui-là qui
est arrivé le 3 juillet 2013 quand El Sisi, le chef
de la contre-révolution a fait un coup d'Etat, non pas parce qu'il a renversé
un autre dictateur mais parce qu’il a manipulé les masses.
Je pense qu’il doit être
considéré comme un criminel de guerre parce qu’il était le chef des services
secrets militaires et il a donné des prétextes pour imposer des tests de
virginité aux femmes pendant les manifestations de mars 2011. Il était ministre
de la Défense à l'époque du Président Morsi qui a tué
beaucoup d'Egyptiens dans la ville de Port Saïd, et quand il a renversé Morsi, il a effectué un des plus grands massacres de ce
nouveau siècle qui est survenu à Rabaa, où ont été massacrés plus de 1000 personnes.
Et maintenant, il y a une répression aboutissant à l’emprisonnement de milliers d’individus
et même à l'évacuation de personnes et à la démolition de leurs maisons dans le
Sinaï sous le slogan de la guerre contre le terrorisme. Dans cette situation où
un dictateur renforce ses pouvoirs, au nombre de ses principaux ennemis, figurent toujours les défenseurs des
droits de l'homme et en particulier les avocats.
Un avocat doit garder les yeux ouverts sur la somme d’injustice dans la
sociètè, les avocats doivent choisir de servir la
justice ou de servir la loi, même si la loi
est contre les intérêts des personnes. La loi est un mot abstrait, pour moi la
loi est la loi de la classe dirigeante et dans des pays comme l'Egypte où il y
a l'autocratie et la tyrannie, il existe des lois promulguées pour réduire au
silence les personnes ou pour voler leurs droits. Les avocats ont, en outre, un
grand rôle de sensibilisation, doivent être le bouclier pour protéger les
marginaux et la voix des sans-voix.
Enfin, je tiens à dédier ce
prix
À Omar, Loay,
Islam, Nasser, 4 personnes qui ont été
très proches de moi pendant cette affaire et qui sont toujours en prison ;
À Sanaa Seif,
Yara Sallam et les
manifestants de l’affaire d’ Ithadia,
À Mohamed Hissny, Alaa Abdelfattah et Shura manifestants emprisonnés;
À Mahmoud Nasr, journalistes anglais de El
Jazeera qui sont en prison en Egypte ;
À Mohamed Sultan et Ibrahim
el Yamany qui entrent dans leur 300éme journée de
grève de la faim,
À la totalité des 41 milles
prisonniers d’ Egypte,
au
peuple palestinien qui nous a appris comment résister et avoir espoir en
l'avenir,
Aux habitants de Kobane qui combattent
les extrémistes,
À Rihana
Gerabi, jeune
fille iranienne, qui a été condamnée à mort parce qu'elle a tué son violeur
pour se défendre,
À toutes les âmes et les
êtres courageux,
Je dédie ce prix.
Merci beaucoup et j’espère que nous, comme
avocats, pourrions aider à construire un monde meilleur et une société plus
humaine.
Mahienour El-Massry
Florence 31 octobre 2014
Le Prix Ludovic-Trarieux,
qui célèbre cette année son trentième anniversaire, est doté par les plus
grands barreaux européens et les plus grandes organisations d’avocats œuvrant
pour la défense des droits de l’homme.
Connue de la plupart des militants politiques, Mahienour el-Massry, qui fut, en
2011, à Alexandrie une figure de proue du soulèvement qui a renversé Hosni
Moubarak, est un des membres du mouvement Socialistes révolutionnaires, qui
défend notamment les droits des détenus et des prisonniers politiques, et une
militante active de la défense du droit du travail et des réfugiés syriens et
palestiniens en Egypte. Elle a été arrêtée au cours de Moubarak et les époques
de Morsi, et fait maintenant face à l'emprisonnement
une fois de plus dans l'ère Mansour-Sisi, comme elle
préfère le nommer.
Mahienour el-Massry a été condamnée, le 2 Janvier 2014, par contumace à
deux ans d'emprisonnement pour avoir participé à un sit-in organisé par des
avocats devant un commissariat de police à Alexandrie lors du procès des
assassins de Khaled Saïd, ce jeune homme décédé suite à son arrestation fin
2010 et qui est devenu l’un des symboles de la révolution du 25 janvier. Il n’y
avait que 19 manifestants. Malgré cela, les forces de sécurité les ont attaqués
avec des gaz lacrymogènes et arrêté certains d'entre eux. Le 20 mai, un
tribunal d'Alexandrie a confirmé la peine d'emprisonnement de deux ans contre Mahienour el-Massry et une amende
de son 50 000 LE. Elle a été incarcérée.
Mahienour el-Massry est en même temps menacée par une autre procédure. Le
29 mars 2013, avec quatre autres avocats, elle s’était rendue au poste de police
d’El-Raml à Alexandrie dans la nuit pour assurer la
défense de manifestants arrêtés à la suite de heurts entre opposants et
sympathisants du président islamiste Morsi. Dix
personnes ont été blessées et hospitalisées à la suite d'affrontements. Des manifestants
ont été arrêtés et détenus au poste de police d'al-Raml
à Alexandrie. A leur tour, les cinq avocats ont été arrêtés et ont été agressés
par les policiers alors qu’ils tentaient de faire leur travail en assurant la
défense de personnes arrêtées. Ils dénoncaient le
fait d’avoir été battus puis enfermés dans des cellules par les forces de
police d’El-Ralm.
Les avocats et les autres détenus ont été finalement
relâchés le lendemain dans la matinée. Ils ont été libérés sans caution, mais
font l’objet d’une enquête pour « insulte envers des employés du gouvernement
dans l'exercice de leurs fonctions », « insulte envers des représentants des
autorités », et « tentative d'effraction dans un poste de police ». Les
policiers d’al-Raml ont tenu une manifestation devant
le poste de police le dimanche suivant, pour protester contre la libération des
détenus. L'affaire a été renvoyée devant le tribunal, le 8 mai 2014, mais le
juge désigné a démissionné de la magistrature. Dans cette affaire, elle avait
été condamnée en février 2015 avec deux autres personnes par un tribunal
d'Alexandrie à deux années de prison, décision dont elle avait fait appel. Le
31 mai 2015, en appel, elle a été condamnée
à 15 mois de prison pour avoir pénétré dans le commissariat de police
d’Al-Raml à Alexandrie, et prétendument agressé des policiers en 2013, a indiqué un
responsable de justice
Au cours d’un
entretien avec Al-Wadi, elle a déclaré que le régime n'est pas différent de
Moubarak, et que ses actions ont une forme plus violente, que les institutions de
l'Etat ont convenu à l'unanimité la suppression, déclarant que le gouvernement
veut supprimer opinions sous le couvert de lutte contre le terrorisme. Elle a
ajouté que Moubarak a imposé l'état d'urgence pendant trente ans à l'aide de
contre-terrorisme comme un argument, mais cette loi a été appliquée sur tous
les jeunes qui réclamaient la liberté et de la justice, et que les procès
militaires inclus également les travailleurs.
Le Prix International des droits de l'homme Ludovic-Trarieux est la plus ancienne et la plus prestigieuse des
récompenses réservées à un avocat puisque son origine remonte au message de
Ludovic Trarieux (1840-1904), fondateur, en 1898, au
moment de l'Affaire Dreyfus, de la « Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen
» : « Ce n'était pas seulement d'ailleurs la cause isolée d'un homme qui était
à défendre, c'était, derrière cette cause, le droit, la justice, l'humanité ».
Un an après sa création, le Premier Prix a été attribué le 27
mars 1985 à Nelson Mandela alors emprisonné depuis 23 ans en Afrique du Sud. Il
a été remis officiellement à sa fille, le 27 avril 1985, en présence de
quarante bâtonniers venus d’Europe et d’Afrique. C’était alors le premier prix
qui lui était décerné en France et le premier dans le monde par des confrères
avocats. Cinq ans plus tard, le 11 février 1990, Nelson Mandela était libéré. A
partir de cette date, le prix a été de nouveau attribué.
Depuis 2003, le prix est devenu l’Hommage désormais annuel des
avocats à un avocat du monde. Il est décerné conjointement par l’Institut des
Droits de l’Homme du Barreau de Bordeaux, l’Institut de Formation en Droits de
l’Homme du Barreau de Paris, l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de
Bruxelles, l'Unione forense
per la tutela dei diritti dell'uomo (Rome) la Rechtsanwaltskammer
de Berlin, les Ordres des avocats de
Luxembourg, de Genève, d’Amsterdam ainsi que l'Union Internationale des Avocats
(UIA) et l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens (IDHAE)), dont
sont membres de grands barreaux européens investis dans la défense des droits
de l'homme au nombre desquels Il est remis aux lauréats alternativement dans
une des villes où chacun des instituts exerce son activité.
1985: Nelson
MANDELA (South Africa)
1992: Augusto ZÚÑIGA PAZ (Peru) †
1994: Jadranka CIGELJ (Bosnia-Herzegovina)
1996 Nejib HOSNI (Tunisia)
and Dalila MEZIANE (Algeria).
1998 ZHOU Guoqiang (China)
2000 Esber YAGMURDERELI (Turkey)
2002 Mehrangiz KAR (Iran)
2003 Digna OCHOA and Bárbara
ZAMORA (Mexico)
2004: Akhtam NAISSE (Syria)
2005: Henri BURIN DES ROZIERS (Brazil)
2006: Parvez IMROZ (India)
2007 : René GÓMEZ MANZANO (Cuba)
2008 : U AYE MYINT (Burma)
2009 : Beatrice MTETWA (Zimbabwe)
2010 : Karinna MOSKALENKO (Russia)
2011 : Fethi TERBIL (Libya)
2012 : Muharrem ERBEY (Turkey)
2013 : Vadim KURAMSHIN (Kazakhstan)
[ii] Machiavel, Œuvres complètes, Pléiade, 1952, p.382.
[iii] Interview de LeilZahra
, Words of Women from the Egyptian Revolution | Episode 10: Mahienour
El-Massry, 9 août 2012, en ligne https://www.youtube.com/watch?v=rasuQSemUKM
[iv] Aung San Suu Kyi , Une révolution des consciences, Discours
9 juillet 1990 Ed. Points, 2010, p. 19.
[v] Samuel Forey, En
Égypte, la police prend sa revanche « On vous aura tous jusqu’au dernier »,
25 septembre 2014, en ligne http://orientxxi.info/magazine/en-egypte-la-police-prend-sa,0691
.
[vi] Ysfelchazli,
Que la conscience de Mahienour trouve
enfin la paix, 21 mai 2014, http://youssefelchazli.com/2014/05/21/que-la-conscience-de-mahienour-trouve-enfin-la-paix/
[vii] Alexandre,Soljénitsyne, Le déclin
du courage Traduit du russe par Geneviève et José Johannet.
Préface de Claude Durand. Les Belles Lettres, 2014, p.
[viii] Giuseppe Acconcia, Mahienour el-Massry: a workers’
revolutionary, 1 Juillet 2014, https://www.opendemocracy.net/arab-awakening/giuseppe-acconcia/mahienour-elmassry-workers%E2%80%99-revolutionary
[ix] Giacomo
Leopardi, La ginestra o il fiore
del deserto, in Tutte le opere, Mondadori, Milano,
1937-1949, vol. I, pag. 42.
« ta tête innocente
jusque-là tu ne l’auras jamais,
tel un lâche, ployer en vain
pour supplier
ton futur oppresseur
tu n’auras pas non plus
dressé ton front
dans un fol orgueil, contre les
étoiles,
ni même au-dessus du désert,
où le hasard, et non ta
volonté,
t’a fait naître et t’a fait
rester,
mais tu auras été bien plus
sage que l’homme,
et moins faible que lui…
(Traduction, in Armand Monjo, La Poésie Italienne,
Seghers, 1964, p. 349).
[x] Francesco Guicciardini, Ricordi , Conseils et avertissements en matière politique et privée, Traduit
de l'italien par Françoise Bouillot et Alain Pons, Ivrea , 1998, p. 19.
[xi] Ludovic Trarieux, Eloge , 15
décembre 1864, ImP. Gale Emile Crugy,
1964, p. 29.