XXIXème Prix International des Droits de l’Homme
Ludovic Trarieux 2024
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ROME
Camera dei Deputati
Le Prix 2024
remis
à Ywet Nu Aung
MYANMAR (Birmanie)
Hommage
Ywet Nu Aung Prix Ludovic
Trarieux 2024
Tribute
Ywetto Nu Aung Ludovic
Trarieux Prizewinner 2024 (ENGLISH)
Tributo a
Ywet Nu Aung Premio Ludovic
Trarieux 2024 (ITALIANO)
2024
"L'Hommage des Avocats à un avocat"
Bertrand
Favreau
Hommage
à Daw Ywet Nu Aung
Roma
Montecitorio
18
ottobre 2004
|
À l'ombre d'une pagode ... Faudrait-il croire à la fatalité ? Birmanie, démocratie impossible ? 2008, 2024… Pour nous, la découverte de la vérité du « Pays des mille pagodes » avait commencé précisément à l’ombre d’une pagode sacrée. C’était au temps de notre premier lauréat birman de ce prix. Déjà, sous une autre dictature, qui était peut-être la même. Déjà, nous n’avions pas pu remettre le prix entre les mains du lauréat. Ou plutôt nous le lui avions d’abord remis, en son absence, ici même, à Rome, au Sénat le 22 octobre 2008, il y a 16 ans, presque jour pour jour. Madame Emma Bonino, vice-présidente du Sénat avait, comme nous, dû se résoudre à célébrer un lauréat absent, cet avocat de Pegu, Aye Mynt condamné à la prison à vie pour avoir voulu défendre les travailleurs en brandissant les textes de l’Organisation internationale du travail. Plus tard il avait été gracié … Mais nul n’avait renoncé. Et notre regretté président Mario Lana n’avait pas craint de prendre le chemin du Myanmar pour aller à la rencontre du lauréat empêché. C’est bien à l’ombre d’une pagode, lors d’une rencontre qui ne pouvait paraître anodine ou anonyme que pour la foule de passants indifférents, que le président Lana avait pu et voulu le rencontrer et lui remettre, en mains propres et en mains libres, dans d’une étreinte fraternelle la médaille et le parchemin du 13e prix, les mêmes que ceux que Madame la présidente Laura Boldrini a accepté de remettre aujourd’hui à une lauréate birmane, absente. Démocratie impossible ? Non, ce n’est pas le rêve obsessionnel occidental que voudraient y voir certains, une chimère ignorante voire méprisante de l’âme profonde de chaque peuple, que voudraient apercevoir d’autres ou les mêmes. Nul n’a jamais voulu autre chose que ce que veut le peuple de Birmanie. Et il a voulu. Car ce vœu exprimé par le peuple, il est advenu par le peuple, en 2011. Espérance imparfaite peut être Expérience incomplète sans doute. Renaissance insuffisante, bien sûr. Elle n’aura pas duré 10 ans. Mais pourtant c’est bien le peuple de Birmanie qui a choisi lui-même de vivre ensemble son rêve d’unité nationale et de liberté, et non pas une préférence aveugle d’observateurs occidentaux, toujours ethnocentriste, qui l’a imposé ou décidé. Et cela est si vrai, qu’il l’a décidé de son plein choix libre à nouveau aux élections de 2020. Ce que le peuple n’a pas voulu en revanche, c’est le retour de la fatalité, ce voile noir qui s’est abattue à nouveau après 10 ans de lumière, parfois vacillante, mais toujours étincelante face à l’aveuglement de l’obscurité. 1er février 2021 : voici que les vieux démons sont de retour et s’emparent du pays. Et ces démons pluriels ont un nom. Un nom au singulier : la junte. |
nbsp;Depuis, on égrène chaque jour davantage les tueries de masse, les cas de torture, les viols, les exécutions extrajudiciaires et les arrestations arbitraires de l’armée de la Junte birmane. Il y a quatorze jours, le 4 octobre 2024, un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme révèle que près de 27 400 personnes ont été arrêtées depuis le coup d’État, et que les arrestations sont en hausse depuis la mise en place de la conscription obligatoire par l’armée en février 2024. En 2023 : plus de 1 600 personnes ont été condamnées à des peines d’emprisonnement ou de travaux forcés, voire à la peine de mort. Des sources crédibles nous indiquent que depuis le coup d’État au moins 1 853 personnes sont mortes en détention, dont 88 enfants et 125 femmes… Mortes pour la plupart après avoir été soumises à des interrogatoires abusifs, des mauvais traitements en détention ou à un refus de soins en temps opportun. De tels crimes, à vrai dire, sont commis depuis longtemps par l’armée birmane contre les communautés ethniques minoritaires. Des femmes dans les zones où l’armée mène une politique de terre brûlée, sont victimes de viols, de torture et de meurtres. Les conditions de vie des Rohingyas ont continué de se détériorer– dans l’État de Rakhine. En 2023, près de 5 000 Rohingyas, ont entrepris de périlleuses traversées en bateau à la recherche d’un refuge. Les discours sont vains et aucun mot ne rendra compte de l’horreur au quotidien, celle qui vient frapper tous ces héros ordinaires que nous ne saurions même pas être.Pourtant, il en est dont la répression n’a pas réussi à mettre à bas les espoirs de liberté en Birmanie. «lls nous tirent des balles dans la tête, mais ils ne savent pas que la révolution est dans le cœur », a écrit face à l’épreuve un poète birman. Ce poète s’appelait Zaw Tun, mais il n’est connu que sous son nom de plume : Khet Thi. A peine mois après le coup d’État, - c’était le 9 mai 2021- une centaine de policiers et de militaires ont encerclé sa maison. « Ils ont menacé d'emmener un membre de la famille s’il ne se rendait pas », a raconté sa femme, Ma Chaw Su. Pour les sauver, il s’est rendu. Le lendemain, les militaires ont demandé à Ma Chaw Su de venir chercher le corps de son mari. L’Association d'assistance aux prisonniers politiques (AAPP) est formelle, il est mort "après avoir été torturé" …Ses organes avaient été prélevés". La junte n’aime pas les poètes dont les «vers sont des hordes d'enfants qui hurlent », mais elle craint davantage les avocats dont elle voudrait supprimer la raison d’être… Un an plus tard, le 8 juin 2022, des soldats de la junte sont venus arrêter Phyu Phyu Khaing, une avocate de 29 ans, dans le village d'Ohn Chaw, dans le canton de Patheingyi. Ils étaient en possession d’une dénonciation de leurs informateurs qui affirmaient qu'elle appartenait aux groupes d’avocats qui s’opposaient à la junte militaire et qu'elle soutenait financièrement les membres des Forces de défense du peuple (PDF). Lorsqu’ils ont découvert qu’elle s’était enfuie avant leur arrivée, ils ont enlevé son frère et ses deux sœurs. Après quatre jours de disparition, le 12 juin sans nouvelles des membres de sa famille, Phyu Phyu Khaing a préféré se suicider en absorbant des pesticides. Ywet Nu Aung, visée par la même dénonciation et les mêmes accusations s’est résolue à affronter ces militaires travestis en juge. Pour elle se fût 15 ans de prison avec travaux forcés dans la prison d’Obo.Car, il y a dans ce pays des avocates et des avocats qui s’efforcent de défendre contre l’injustice. Ils avaient cru depuis 2011, au règne de la prééminence du droit dans sa dimension universelle. Créée en 2014, l'Association des avocats indépendants du Myanmar (en abrégé ILAM) fonctionnait démocratiquement. Plusieurs avocats spécialisés dans les droits d’homme y avaient été élus. nbsp; La loi sur le Conseil du barreau avait été modifiée pour permettre - pour la première fois depuis 1989 - l’organisation d’élections au Conseil du barreau du Myanmar. Bref, il existait un barreau. Mais la junte a imposé de nombreuses limitations et a privé les victimes d’une accusation arbitraire de leur droit de se défendre au cours de procédures régulières. Plus encore, ce sont leurs avocats qu’on emprisonne. Combien sont-ils, en vérité ? Nul ne le saura jamais puisque nous ne pouvons pas le savoir et que ceux qui le savent ne le diront jamais. Plusieurs dizaines au cours des premiers mois, près de 50, trois ans après, peut-être une centaine aujourd’hui ? Les avocats il est vrai, sont si faciles à arrêter. Il n’est même pas utile de les rechercher ou de se rendre chez eux. Il suffit d’aller aux audiences des tribunaux de la junte, notamment ces « tribunaux spéciaux », fermés à l’intérieur des prisons, afin d’accélérer le traitement des affaires politiquement sensibles. Depuis le noir 1er février, c’est là que ces dizaines d’avocats nouveaux n’ont cessé de se rendre pour y défendre les personnes livrées à l’arbitraire, renforçant leur ardeur combative au gré de la recrudescence des arrestations, en dépit de l’interdiction qui leur est faite de communiquer en privé ou de s’entretenir avec leurs clients avant les audiences. Et surtout, en dépit des menaces et des arrestations arbitraires qui viennent les frapper. nbsp; Ainsi, ces lieux de justice sont-ils devenus des nasses funestes où il suffit de venir attendre les avocats pour pouvoir les enfermer à leur tour. Cela se passe souvent dès leur arrivée aux audiences où sont jugés des détenus politiques. Et si le client n’est pas déjà détenu, le coût de filet est alors double. On arrête le client en même temps que son avocat. Depuis le premier jour, Ywet Nu Aung a été au premier rang. Elle a défendu à Mandalay les dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) notamment Win Htein. C’est après une audience à la prison d'Obo où elle défendait l’ancien ministre en chef de la région de Mandalay, Zaw Myint Maung que la police a perquisitionné à son cabinet dans la nuit du 28 avril 2022 de la lendemain tôt le matin. Mais Ywet Nu Aung n’est pas seulement une victime circonstancielle et sacrificielle des cycles improbables ou des retours cruels de l’histoire. Un engagement, résolu autant qu’obstiné, comme son destin aujourd’hui tragique avait précédé cette épreuve et avait déjà donné la vraie mesure de son courage. Ywet Nu Aung est d’abord une avocate dans la plénitude de son essence. Ce fut sa vocation première à Mandalay. C’est en cette qualité qu’elle s’est révélée aux yeux des femmes et des hommes de son pays et au-delà. Ses premiers combats, elle a choisi de les mener pour des clients exigeants : la tolérance et la dignité humaine, notamment celles des femmes dans un pays où tant de choses ont toujours été permises impunément à la soldatesque. N’est-il pas révélateur qu’en 2017 Ywet Nu Aung ait assuré la défense de Swe Win, le rédacteur en chef de Myanmar Now, qui avait déjà dû passer sept années en prison pour avoir diffusé des documents contre la précédente junte. Il fallait alors accepter de subir un harcèlement incessant de la part des partisans du moine bouddhiste extrémiste, Wirathu, tant redouté pour ses sermons fanatiques contre les musulmans. Mais encore plus connu surtout cette année-là pour son apologie de l’assassin d’un avocat. Un avocat illustre, Ko Ni, que nous avons justement célébré en son temps, et qui a été lâchement assassiné à sa sortie de l’aéroport de Rangoon en janvier 2017. Or, Ko Ni, été doublement célèbre et doublement haï par beaucoup, parce qu’il était à la fois un grand défenseur des droits de l’homme mais aussi le conseiller juridique de Aung San Suu Kyi. Pour cela, Ywet Nu Aung aura dû endurer une campagne permanente d’insultes et de menaces de la part du groupe nationaliste bouddhiste Ma Ba Tha. Elle a dû accepter de faire face à la haine de tous les fanatiques et les intolérants qui appellent à l’éradication de l’autre. Sans désemparer, deux ans plus tard, elle allait devenir la figure de proue de l’affaire dite de Victoria, en assurant la défense de la famille d’une très jeune enfant qui aurait été agressé sexuellement dans une école primaire privée de Naypyitaw. L'affaire était grave assurément. Elle a embrasé le pays et des milliers de personnes ont manifesté, notamment à Rangoun et à Mandalay, aux cris de "Justice for Victoria", en conspuant une police incapable de confondre le coupable mais ne se privant pas de l'identité de la jeune fille et de ses parents, en violation de la loi sur les droits de l'enfant. Ainsi c’était l’exposé aux attaques de ceux qui méprisent parfois fustigent la protection des enfants, les droits des femmes et redoute la fin de l’impunité de leurs actes. Puis en 2021, les militaires sont revenus… Mais malgré cela, son engagement pour la liberté d’autrui ne s’est jamais démenti. «Je ne veux pas être un héros / Je ne veux pas être un martyr / Je ne veux pas être un lâche non plus. » ce sont encore les mots du poète Khet Thi, lui qui proclamait quelques jours avant sa mort que la révolution est dans le cœur. L’ombre de la pagode de Mario Lana veille encore sur nous. Mais, c’est pour nous adresser un rai de lumière. Pas plus qu’elle n’avait pu être ternie auparavant par 50 ans de dictature, cette lumière ne s’effacera pas. Car nous savons qu’elle ne peut disparaître dans un pays où tant d’avocats sont déterminés à aller en prison pour elle. C’est pourquoi nous vous remercions Monsieur le ministre des droits de l’homme du gouvernement d’union nationale en exil, d’être présent parmi nous, comme pour conjurer cette prétendue fatalité à laquelle d’aucuns voudraient abandonner la Birmanie. Aung San Suu Kyi disait elle-même : « La seule réelle prison est la peur et la seule vraie liberté est de se libérer de la peur ». Et elle a ajouté : «Vous ne devriez jamais laisser vos peurs vous empêcher de faire ce que vous savez être juste ». Comme le poète, Ywet Nu Aung est bien une « Héroïne » contre son gré. Comme lui elle n’a pas voulu être lâche. Elle a choisi d’être juste. C’est pour cela, sans doute qu’elle nous invite à entrevoir la vie à l’aune du courage et qu’elle nous montre ce chemin qui permet de devenir meilleur. Nulle fatalité ! Elle nous montre en même temps qu’elle nous ouvre la voie du possible. C’est avec une fierté rehaussée par l’espérance, que nous sommes en cet instant tous ici particulièrement honorés que Madame Laura Boldrini ait accepté de remettre entre vos mains ce prix qui illustre notre admiration pour le combat de tous les birmans en même temps que celui de cet absente, qui n’a jamais eu peur de savoir et surtout de dire ce qui est juste. nbsp; Attendant qu’un jour futur peut-être… à l’ombre d’une pagode… » Bertrand
Favreau Le prix a été recu par Aung Myo Min, ministre des Droits de l'homme du gouvernement d'Unité Nationale birman en exil, des mains de Madame Laura Boldrini, présidente du Comité permanent des droits dans le monde de la Chambre des députés. |
Bertrand
Favreau
Hommage
à ; Daw Ywet Nu Aung
Roma
Montecitorio
18
ottobre 2004
Premio Internacional de Derechos Humanos Ludovic Trarieux
Internationalen
Ludovic-Trarieux-Menschenrechtspreis
Premio Internacional de Direitos Humanos Ludovic Trarieux
Premio Internazionale per i Diritti Umani Ludovic Trarieux
Ludovic Trarieux Internationale Mensenrechtenprijs
PRÉCÉDENTS LAURÉATS:
1985: Nelson MANDELA (Afrique
du Sud)
1992: Augusto Z IGA PAZ
(Per )
1994: Jadranka CIGELJ
(Bosnie-Herzégovine)
1996 : Najib HOSNI (Tunisie) et Dalila MEZIANE(Algérie)
1998 : ZHOU Guoqiang (Chine)
2000 : Esber YAGMURDERELI (Turquie)
2002: Mehrangiz KAR (Iran)
2003 : Digna OCHOA et Barbara ZAMORA (Mexique)
2004 : Aktham NAISSE (Syrie)
2005 : Henri BURIN DES ROZIERS (Brésil)
2006: Parvez IMROZ (Inde)
2007 : René GOMEZ MANZANO (Cuba)
2008 : U AYE MYINT (Birmanie)
2009 : Beatrice MTETWA (Zimbabwe)
2010 : Karinna MOSKALENKO (Russie)
2011 : Fethi TERBIL (Libye)
2012 : Muharrem ERBEY (Turquie)
2013 : Vadim KURAMSHIN (Kazakhstan)
2014 : Mahienour el-MASSRY (Égypte)
2015 : Waleed Abu al-KHAIR (Arabie Saoudite)
2016 : WANG Yu (Cina))
2017 Mohamed al-ROKEN (Emirats Arabes Unis)
2018 Nasrin SOTOUDEH (Iran)
2019 Rommel DURAN CASTELLANOS (Colombie)
2020 Ebru et Barkin TIMTIK (Turquie)
2021 Freshta KARIMI (Afghanistan)
2022 Arminsalar DAVOUDI (Iran)
2023 Yiulia YURGILEVICH (Belarus)