PRIX INTERNATIONAL DES DROITS DE L'HOMME LUDOVIC
TRARIEUX 2012
Premio Internacional de Derechos Humanos Ludovic Trarieux 2012
Internationalen Ludovic-Trarieux-Menschenrechtspreis
2012
Prêmio Internacional de Direitos Humanos Ludovic Trarieux 2012
Premio Internazionale per i Diritti Umani Ludovic Trarieux 2012
Ludovic Trarieux
Internationale Mensenrechtenprijs 2012
Premiul internaţional privind drepturilor omului Ludovic-Trarieux 2012
Depuis/Since/Desde/Dal/Seit 1984
“L’hommage des avocats à un avocat ”
“The
award given by lawyers to a lawyer”
“El homenaje de abogados
a un abogado ”
“L'omaggio
degli avvocati ad un avvocato”
“Die Hommage von Anwälten zu einem Anwalt”
Le Prix international
des droits de l'Homme
"Ludovic
Trarieux" 2012
remis officiellement à
Muharrem ERBEY
(Turquie)
A la suite de la délibération du Jury de 27 avocats européens, le 12 mai
2012, Muharrem ERBEY , s'est vu attribuer le XVIIème Prix
International des Droits de l’Homme « Ludovic-Trarieux »
2012.
Le prix a été remis à BERLIN par Madame le Ministre
de la Justice, le 30 novembre 2012.
La cérémonie de remise du Prix
international des droits de l'Homme « Ludovic Trarieux
» 2012 s’est déroulée vendredi 30 novembre dans la grande salle d'audience de
la Cour d'Appel de Berlin sous la présidence de Bernd Häusler, Vice-Président
du Barreau de Berlin.
Créée en 1984 et décernée pour la première fois à Nelson Mandela qui était
alors incarcéré depuis 23 ans en Afrique du Sud, cette récompense est «
l’hommage des avocats à un avocat » qui, « aura illustré par son oeuvre, son activité ou ses souffrances, la défense du
respect des droits de l'Homme, des droits de la défense, la suprématie du
droit, la lutte contre les racismes et l'intolérance sous toutes leurs formes
».
Devenu annuel en 2003, ce prix est attribué conjointement par l’Institut des
Droits de l’Homme du Barreau de Bordeaux, l’Institut de Formation en Droits de
l’Homme du Barreau de Paris, l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de
Bruxelles, l'Unione Forense
per la Tutela dei Diritti dell'Uomo, la Rechtsanwaltskammer
de Berlin, le Barreau de Luxembourg, l'Union Internationale des Avocats et
l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens.
C’est la Ministre Fédérale de la Justice Sabine Leutheusser-Schnarrenberger
qui a remis le 17ème prix international des droits de l'Homme « Ludovic Trarieux »attribué à Muharrem Erbey (avocat turc détenu depuis 2009, ardent défenseur des
militants et parlementaires kurdes) à son épouse, en présence de la Première
Présidente de la Cour d'Appel de Berlin Monika Nöhre
et d'éminentes personnalités locales et étrangères.
Le jury, présidé par Bertrand Favreau, avait décerné ce prix lorsqu'il s'était
réuni à Bordeaux le 12 mai 2012, souhaitant célébrer le courage d'un avocat
injustement détenu depuis plus de trois ans et honorer un militant de la
liberté.
Muharrem Erbey, avocat et
vice-président de la plus importante structure turque de défense des droits de
l'homme, İnsan Haklari Derneği – IHD –(la Ligue
Turque des Droits de l’Homme) et
président de sa branche de Diyarbakir, a été arrêté à l’aube du 24 décembre
2009, pour appartenance à une « organisation illégale », bien que la
section qu’il préside soit une association officiellement enregistrée.
Après la dissolution du Parti pour une
Société Démocratique, le 11 décembre 2009, par la Cour Constitutionnelle de
Turquie, 94 Maires, les membres des Conseils Généraux des Régions et les
membres des Conseils Municipaux avaient adhéré, le 23 décembre 2009, au Parti
pour la Paix et la Démocratie (BDP). Moins de 24 heures après leur passage du
parti interdit, le DTP, au BDP, une opération de police a été menée visant ce
parti dans plus de 11 villes. Plus de 80 personnes, dont le co-Président du
Congrès de la Société Démocratique (DTK) ainsi que 9 Maires, ont été
interpelés.
Selon l'IHD, l’opération contre le
nouveau Parti pour la Paix et la Démocratie (BDP) s’est déroulée au mépris de
toute règle de droit : des appartements ont été endommagés, des portes
défoncées et les personnes ont été mises en garde à vue de façon tout à fait
arbitraire. Après l’arrestation de Me Erbey, la
police a perquisitionné tous les bureaux de la section d’IHD à Diyarbakir
– alors que le mandat apporté ne leur permettait, à l’origine, que de
fouiller le bureau de Muharrem Erbey.
Cette attaque au droit d’association des membres de la section de Diyarbakir
s’est accompagnée de la confiscation de la quasi-totalité des dossiers et des
fichiers informatiques de l’association.
Le 18 octobre 2010, a commencé le
procès de Muharrem Erbey et
de 151 des plus importants prévenus, dont 3 anciens députés, 25 maires,
maires-adjoints et anciens maires, les 3 vice-présidents du DTP, etc.
Le réquisitoire de 7578 pages établi
par le Procureur de la République de Diyarbakir a été validé le 18 juin 2010
par la 6ème chambre de la Cour d’assises de Diyarbakir. Il requiert des peines
d’emprisonnement allant de 15 ans à la perpétuité, contre 151 personnes, dont
103 sont détenues. Parmi les prévenus, on compte 28 dirigeants du Parti pour
une Société Démocratique (DTP) qui a été interdit, 12 maires, dont Osman Baydemir, maire de Diyarbakir, 2 présidents de Conseils
Généraux et 2 conseillers municipaux.
Le secret opposé aux avocats des trois
défenseurs sur le contenu du dossier qui justifiait leur détention et mise en accusation,
la mise en cause de personnalités et notamment des trois défenseurs en raison
de leurs activités de défense des droits de l’Homme en Turquie, font craindre
des atteintes massives au droit à un procès équitable.
Me Muharrem Erbey a été arrêté à l’aube du 24 décembre 2009, pour
appartenance à une « organisation illégale «, bien que la section qu’il
préside soit une association officiellement enregistrée.
Muharrem Erbey
venait alors de s'exprimer devant les parlements belge, suédois et britannique
sur la situation des Kurdes en Turquie, a pris part au festival du film kurde
en Italie ainsi qu’à une conférence sur la Constitution (Constitution Workshop
– Anayasa Çalıştayı)
organisée par les associations du barreau local et le Congrès de la Société Démocratique.
En juillet 2009, avec l'IHD d’Amed (Diyarbakir), il
avait organisé une conférence de presse, après la publication du rapport
semestriel sur les violations des droits de l’homme dans la région du Kurdistan
depuis le début de 2009. Selon le rapport, les atteintes aux droits de l’Homme,
pour ce premier semestre, se comptaient au nombre de 131 249 et 112 018
personnes ne pouvaient plus bénéficier de la carte verte au motif qu’elles ont
voté pour le DTP lors des élections municipales.
Muharem Erbey est
détenu depuis deux ans et quatre mois à la prison de Type D de Diyarbakir.
Discours
de
Madame
Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, MP
Ministre
fédéral de la Justice
À
l’occasion de la remise du Prix international Ludovic-Trarieux
à Muharrem Erbey
Le
30 novembre 2012
à
Berlin
Cher Madame Erbey,
Madame la Présidente Nöhre,
Monsieur le Président
Favreau,
Monsieur le Président Dr Mollnau,
Cher Monsieur Löning,
Cher Monsieur Häusler,
Chers Consœurs et
Confrères,
Mesdames et Messieurs !
Dans exactement 10 jours, nous commémorons pour la 64e Fois,
l’anniversaire de l'adoption de la Déclaration universelle des droits de
l'homme par l'Assemblée générale des Nations Unies. Chaque année, le 10
Décembre, est célébré le Jour es droits, cet événement historique.
La reconnaissance des droits de l'homme est, ainsi qu’il est
écrit dans le préambule de la Déclaration universelle, « le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le
monde ».
Formellement, elle n’a pas édicté, certes, de droits
individuels, ni d’obligations juridiques spécifiques pour les Etats
signataires. Cependant, elle instaure un idéal reconnu par tous les pays, qui
se doivent dans leurs actions politiques et juridiques, d‘œuvrer à son respect
et sa réalisation et dans cette aspect, elle constitue une référence normative
et juridique de toute l'action d'un Etat.
Les droits de l’homme sont inaliénables, indivisibles et
universels. Le Prix Nobel de la Paix René Cassin, l'un des auteurs de la
Déclaration universelle, les liait les uns aux autres „afin que personne ne
puisse les emporter„.
Si l’on ne se réfère qu’au seul droit au respect de la vie
humaine, peut-être s'applique-t-il certainement, – mais qu’en est-il
aujourd’hui dans la réalité de la vie de façon concrète de l'état des droits de
l'homme?
Rien que l’année dernière, dans 91 pays à travers le monde, le
droit à la liberté d'expression était limitée ; selon les Nations Unies dans le
monde au moins 55 groupes armés et forces gouvernementales utilisent des enfants
comme soldats ; dans au moins 101 pays dans le monde l'année dernière, les gens
étaient torturées ou victimes de mauvais traitements.
Le «baromètre» tenu à jour par l'organisation Reporters sans
frontières sur la situation actuelle des journalistes indique de façon tout à
fait factuelle pour l‘année 2012 qui n’est pas encore terminée –:
- 59 journalistes tués,
- 44 activistes en ligne et citoyens journalistes tués
- 155 journalistes emprisonnés
- 130 activistes en ligne détenus.
Chaque jour nous voyons ces terribles images de Homs, à Alep,
Damas, ou d'autres endroits nous voyons le soulèvement en Syrie se déchaîner de
façon toujours plus sanglante de jour en jour.
Nous ne pouvons ignorer des conflits ethniques au Congo, avec
les combats entre les rebelles et les troupes gouvernementales et la violence
contre les civils.
Au Mexique, un pays qui occupe la 149ème place sur 179 pays
selon l'indice de la liberté de la presse, des journalistes sont assassinés ou
l’objet d'intimidation en dehors de tout contrôle de l'Etat et la spirale de la
violence issue la guerre de la drogue s’accélère depuis des années..
En Egypte, seulement il y a trois jours, sept chrétiens ont été
condamnés à mort (par contumace) pour avoir insulté l'islam parce qu’ils ont
été prétendument impliqués dans la production d'un film diffamatoire.
En Iran, le blogueur et militant des droits de l’homme Ahiva Ahri est toujours en
attente de son appel, après qu'il a été condamné à six ans de prison et 76
coups de fouet pour propagande allégué contre l'État
En République populaire de Chine, des avocats, des artistes ou
des programmes gouvernementaux d'opposition poumons, se voient soumis aux
intimidations et aux arrestations. Tout comme dans la Fédération de Russie.
Mesdames et Messieurs,
Cette liste s'allonge encore et encore. Aussi loin que vous
puissiez regarder dans le monde, il existe des violations fondamentales des
droits de l'homme.
Les droits de l'homme ne peuvent pas se protéger eux-mêmes. La
loi du plus fort s’oppose à la force de loi. Une protection efficace contre la
torture, la violence, les déplacements et l'oppression ne peuvent être assurées
que par la communauté des États de droit libres. Par conséquent une politique
des droits de l'homme n'est plus aujourd'hui une affaire intérieure de l'Etat,
mais elle appartient à la politique mondiale et oblige tous les pays à la
vigilance et à l'engagement.
La majorité des constitutions écrites du monde accorde à leurs
citoyens respectifs assurément leurs droits inaliénables à la liberté et à la
dignité humaine.
Mais les lettres sur une feuille de papier demeurent une
promesse à bon marché si elle ne garantit pas la liberté de faire un usage
effectif de ces droits.
Les droits de l’homme doivent être respectés aussi par la police
judiciaire compétente et dévoué et par les services de sécurité, supervisés par
des tribunaux indépendants, et défendus par la liberté de la presse.
" Dénier ses droits
d'homme à un homme signifie pour lui manquer à son humanité." Tels sont les mots du premier lauréat du prix Ludovic-Trarieux – lorsqu’il a été décerné le 27 Mars 1985 à
l'avocat emprisonné Nelson Mandela, qui, à l'époque, avait déjà passé 20 ans en
prison en Afrique du Sud.
Mesdames et Messieurs,
Un principe d’application ancienne veut que le présentateur lors
d'une cérémonie ait non seulement la responsabilité de prononcer un discours
officiel, mais également d’adresser les paroles appropriées au lauréat auquel
il remet le prix.
Comme nous le savons tous, ce n'est malheureusement pas possible.
L'écrivain et avocat Muharrem Erbey a été arrêté le 24 Décembre 2009, aux alentours de 5
heures du matin, à la demande du procureur de la République de Diyarbakır
dans le cadre d’une opération menée dans plusieurs provinces contre
l’Association des droits de l'homme l'IHD, et contre le Parti pour la paix et
la démocratie (BDP) représenté au Parlement à Ankara.
Il a été l'une des 80 personnes arrêtées
L'accusation portée contre lui est apparemment l’appartenance à
une organisation armée illégale mais aussi la violation de la législation sur
les rassemblements.
Selon ses dires, la procédure est conduite contre lui sur les
déclarations d'un "témoin secret" et on l'accuse d'avoir agi comme un
agent étranger du KCK, en prononçant des conférences à l'étranger. L'action
menée n’a eu d’autre but jusqu’à maintenant que de le faire taire puisqu'il
parlait, entre autres des abus commis par la police turque aux parlementaires
étrangers.
Muharrem Erbey
est né en 1969 à Diyarbakir, dans le sud-est de la Turquie. Après avoir quitté
l'école, il a étudié à la faculté de droit de l'Université d’Istanbul. Il a
obtenu son diplôme en 1996, à l'Université de Dicle à
Diyarbakir. Depuis 1997, il a exercé comme avocat.
Au-delà de son travail dans l'administration régionale - comme
conseiller auprès du président de l'Union des communautés sud anatolien, et
auprès de la municipalité de Diyarbakir, où il a occupé les fonctions de
responsable de projets sociaux - Muharrem Erbey était particulièrement actif en tant qu'écrivain et a
été particulièrement impliqué dans les questions de l‘action sociale – et des
droits de l'homme.
Muharrem Erbey
est l’auteur d‘articles et d’écrits sur les questions culturelles et politiques,
les droits de l'homme, la question kurde et la démocratie en général, qui ont
été publiés dans de nombreux magazines, journaux et sur des sites Web. Il est
membre de la branche turque du PEN Club International, l'Association littéraire
de Diyarbakir aussi bien que d‘associations d‘écrivains turcs et kurdes
Par-dessus tout, Muharrem Erbey a agi activement pendant de nombreuses années comme
un avocat fervent défenseur des droits de l'homme. En 2006, il a fondé, entre
autres, l’association Sarmasik contre la
pauvreté ; depuis 2000, il est membre de l'association des droits de
l'Homme (IHD), dont il a été, et depuis mai 2008, le président de la région de
Diyarbakir et depuis Novembre 2008, le vice-président.
L'IHD se consacre à la défense des droits de l'homme, il
organise régulièrement des campagnes sur des questions telles que les droits
des femmes et des enfants, la situation des Kurdes en Turquie ou la peine de
mort. L'organisation est membre de la Fédération Internationale des Droits de
l'Homme (FIDH) et collabore avec diverses ONG à l'intérieur et à l'extérieur,
de la Turquie y compris avec Amnesty International.
Selon ses principes directeurs, l'IHD se consacre, ainsi que Muharrem Erbey l‘a fait à
plusieurs reprises et publiquement, à la protection et la promotion des droits
de l'homme par des moyens pacifiques et défend les principes de liberté
d'expression, de religion et de réunion et du droit à un procès équitable.
Mesdames et Messieurs,
Maître Muharrem Erbey
est marié et a deux enfants.
Il se trouve toujours aujourd’hui en prison, sans avoir été
jugé. Son procès a commencé, il y a deux mois, le 21 Septembre 2012, à
Diyarbakir, près de trois ans après son arrestation, et il devrait se
poursuivre à la mi-Janvier.
Muharrem Erbey
reçoit aujourd'hui ce Prix ainsi qu’il est dit dans les statuts du Prix
International des droits de l'homme Ludovic Trarieux,
pour avoir « illustré par son œuvre, son activité ou ses souffrances, la
défense du respect des droits de l'Homme, des droits de la défense, la suprématie
du droit ».
Oui, vraiment, il mérite ce prix.
Il serait bon qu’il puisse bientôt également retrouver sa
liberté personnelle. La détention provisoire doit cesser.
Ce prix est aussi un signe. Il doit donner du courage à ceux qui
sont dans des situations semblables. Il doit encourager, à aller plus loin les
réformes entamées en Turquie pour l'amélioration du système judiciaire - même
contre la résistance au changement des oppositions perpétuelles d’hier.
Il doit mettre le doigt proverbial dans la plaie, et montrer
qu'il y a encore un long chemin jusqu'à l'achèvement de l'Etat de droit et il
doit renforcer l’idée que cela vaut la peine d’aller plus loin rapidement et
courageusement.
Il n'est donc pas dirigé contre la Turquie, mais doit se
comprendre au contraire comme un encouragement à ceux qui travaillent sur une
voie pacifique pour la primauté du droit - que ce soit au sein des
organisations, dans la rue ou dans l'administration publique.
Mesdames et Messieurs,
La position de l'avocat dans le procès dans un état de droit est
d'une importance vitale. C’est pourquoi, ni eux, ni leurs clients ne sauraient
voir supprimer ou diminuer les droits judicaires fondamentaux
La protection spéciale des avocats en Allemagne est donc
inscrite, entre autres choses explicitement dans le code de procédure pénale,
Songez au droit de refus de témoigner ou à la collecte de preuves et
l'interdiction de recyclage figurant dans le § 160a du Code de procédure
pénale, qui ont été, à mon initiative, récemment à nouveau étendus.
La Cour constitutionnelle fédérale se réfère explicitement au
fait que le privilège de la défense était justifié, « parce que leurs
communications avec l'accusé d'une procédure pénale comprend généralement une
référence à l'article 1er, paragraphe 1 GG », c'est à dire la dignité
d'homme et concerne en cela directement le domaine inviolable du mode de vie
privé.
Un avocat ne peut pas et ne doit pas être accusé lui-même pour
sa défense. Chaque accusé, y compris les meurtriers et les terroristes ont le
droit à un avocat dans le procès- mais l'avocat ne devient pas de ce fait
lui-même assassin.
De même il n‘en devient pas, par la seule défense, le partisan
ou le sympathisant.
Quand une détention dure près de trois ans, c'est - même sans
tenir compte de certains crimes - du point de vue de l’état de droit
inacceptable.
Au début de ce mois, j'ai exprimé dans les conversations
directes, très ouvertes avec les représentants turcs - dont le ministre de la
Justice, le Président de la Cour constitutionnelle turque et les représentants
de la profession d'avocat - très clairement que les poursuites de masse contre
les avocats et les journalistes, que la limitation des droits procéduraux des
suspects ou une longue durée de détention préventive, étaient suivies de façon
très attentive et critique par le gouvernement fédéral.
J'ai également fait remarquer qu’émanait de la loi, qui veut
lutter de façon abstraite et large contre la propagande et la terreur et contre
"insulte à la turcité", un excès du
gouvernement potentiellement dangereux.
Comme vous le savez, la Turquie veut instaurer elle-même une
réforme du système judiciaire et prévoit également une réforme
constitutionnelle fondamentale.
Le monde observe ce processus avec beaucoup d'intérêt, quelques
semaines auparavant, les plaintes individuelles mises en œuvre peuvent apporter
une contribution importante à l'amélioration du système juridique. Comme on le
sait nous avons fait en Allemagne avec la possibilité de recours
constitutionnel de toutes les citoyennes et les citoyens une très bonnes expériences expérience; d’une part elle a arrêté les
abus de l’Etat, d'autre part elle a renforcé chez les citoyennes et les
citoyens le respect de notre constitution avec leurs droits fondamentaux.
Le recours individuel apporte aux citoyens un nouvel instrument
juridique. Si ce dernier est épuisé, la Cour européenne des droits de l'homme
peut être saisie - bien sûr cela ne se produit pas toujours, - mais cela
implique, comme pour tous les 47 pays de l'Europe aujourd'hui un examen
critique constant et l'amélioration de son propre système juridique.
Dans la Déclaration universelle, mais aussi de la Convention
européenne des droits de l'homme il ressort qu‘une base de valeur commune des
Etats, a été exprimée - et qui est bien connue, y compris en Turquie.
La Cour européenne des Droits de l'Homme à Strasbourg, en tant
que gardienne de la Convention exige toujours davantage quant à la protection des
minorités, la liberté de l'opinion, la presse et religion, le procès équitable
ou les garanties de la procédure Pas seulement envers la Turquie. Pensons
actuellement à la Hongrie ou à la Roumanie ; même l'Allemagne a été critiquée
par la Cour des droits de l'homme, par exemple, pour la position des pères
biologiques.
Ainsi que la Cour l‘a jugé dans ses décisions - il y en a eu
entre 1995 et 2010 plus de 2200 contre la Turquie, -, le prix Ludovic-Trarieux, rappelle que le pluralisme, la protection des minorités
et liberté de manifestation, d'expression et la religion ne sont pas un danger
pour un Etat démocratique, mais son fondement. Ce fondement est ébranlé si des
individus restent pendant des mois et même des années en détention, si les
avocats et les journalistes peuvent être inquiétés en raison de leurs activités
professionnelles dans des poursuites de masse devant les tribunaux, si
certaines minorités ne peuvent vivre librement leur identité religieuse ou
culturelle.
Permettez-moi de revenir sur le premier lauréat du prix décerné
aujourd'hui. Nelson Mandela a dit en 1962 dans la plaidoirie célèbre prononcée
pour sa défense devant le tribunal:
«L'histoire montre que les
condamnations ne peuvent retenir les hommes qui suivent leur conscience ».
Lui-même n’en est-il pas le meilleur exemple ?
Ne voyons-nous pas cela aussi dans le fait que dans le monde
entier, de plus en plus de femmes et d’hommes prennent le chemin de la défense
de leurs droits- il suffit de penser a que l'on appelle un printemps arabe.
Même un Etat démocratique doit évidemment pouvoir être organisé
pour se défendre contre la violence et l'extrémisme.
Cependant, la force de la démocratie s’y exprime, mais dans le
respect des règles de l'Etat de droit qui sont soutenues par les valeurs
fondamentales qui sont aussi encore et surtout valables à l’égard de leurs
ennemis.
Mesdames et Messieurs,
C’est justement parce que Muharrem Erbey peut ne pas être ici aujourd'hui, que je voudrais
conclure mon discours avec ses propres mots.
De la prison de Diyarbakir, il a écrit dans une lettre ces
lignes [je cite]:
«Les droits et la liberté peuvent être limité
dans toute société;
La question est qu’elle
étendue cela comporte, et en aucun cas, de telles restrictions n‘affectent le
champ de la justice.
Les militantes et
militants des droits de l'homme et ceux qui agissent pour des raisons de
conscience, essaient de s'acquitter de leur devoir personnel. Si la répression
est élargie pour maintenir le pouvoir et si la justice est déstabilisée
Dans les sociétés
véritablement démocratiques mais aussi dans celles où l'exercice des droits
démocratiques n'est qu'une façade, maintenue par une illusion, nous militantes
et militants des droits de l’homme nous sommes donnés pour principe permanent
de défendre la dignité et l'honneur des personnes - quelle que soit leur
origine, la langue, l'identité ethnique, la religion, la classe ou le sexe.
(...)
Un peu plus de tolérance,
de coopération, d‘empathie. N'oublions pas que chacune et chacun a le droit
d'exercer une influencer sur l'évolution de la société et que c'est un devoir
moral. (...)
Tout pour l'égalité, la
liberté et la justice. "
C'est pour cette action, ce courage, cette rectitude que Muharrem Erbey est honoré
aujourd'hui.
Discours
De
Bernd Häusler
Vice-Président
RAK de Berlin
Pour la Cérémonie de Remise du Prix
international des droits de l'Homme Ludovic-Trarieux
A Muharrem Erbey
Mesdames, messieurs,
Le prix Ludovic-Trarieux
n'est pas décerné pour la première fois cette année, mais pour la première fois
à Berlin. Il semble donc opportun de présenter brièvement ce prix. Qui était
Ludovic Trarieux ? Qu'a-t-il à voir avec l'ordre
des avocats ? Pourquoi une remise de ce prix à Berlin ?
Ludovic Trarieux est
né le 30 novembre 1840 - il y a donc exactement 172 ans - à Aubeterre
en Charente. Dès l'âge de 21 ans, il devint avocat à Bordeaux et membre du
barreau de la ville. Il pratiqua jusqu'en 1881, pendant 20 ans, à Bordeaux puis
à Paris. En 1877, il fut élu bâtonnier du barreau de Bordeaux.
Ludovic Trarieux eut
une vie mouvementée, non seulement en tant qu'avocat, mais aussi en tant
qu'homme politique. Élu en 1879 à la Chambre des députés, il s'y engagea, entre
autre, pour un accès libre à tous à l'enseignement supérieur et pour la
protection des droits acquis par les syndicats. Nommé Garde des sceaux en 1885,
il occupa cette fonction jusqu'en 1895. À rebours de l'esprit de la politique
actuelle du droit en Allemagne qui vise à sacrifier les possibilités de recours
et les droits de la procédure sur l'autel de l'économie, Ludovic Trarieux imposa en son temps un élargissement important des
possibilités de recours dans les affaires pénales. De plus, il apporta une
nette amélioration des dédommagements aux victimes d'erreur judiciaire.
Les deux dernières années de Ludovic Trarieux en tant que Garde des sceaux furent marquées par
l'affaire Dreyfus. Celle-ci ne fut pas seulement un scandale politique et
militaire, mais avant tout un scandale judiciaire, reposant en grande partie
sur des dysfonctionnements et une malhonnêteté propres aux services secrets et
sur lesquels la justice s'empressa de fermer les yeux. Ainsi, l'enquête fut
orientée dès le début dans la mauvaise direction et les vrais coupables ne
furent pas inquiétés. Cet aspect ne semble pas avoir perdu de son actualité, vu
les nombreux comités d’enquête récents portant sur l'action des renseignements
généraux en Allemagne. À l'époque, le capitaine Dreyfus en fit les frais et fut
condamné - dans un premier temps.
Après avoir quitté ses fonctions de Garde des
sceaux, Ludovic Trarieux fut de nouveau plus libre et
s'engagea non seulement comme homme politique, mais aussi comme avocat en
faveur du capitaine Dreyfus pour faire la preuve de son innocence. C'est sur
son initiative que la Ligue française pour la défense des droits de l'Homme et
du Citoyen fut créée en 1898. Il en fut le premier président, et le premier
manifeste de la Ligue porte bien sa marque : toute personne dont la
liberté est menacée ou dont les droits sont bafoués peut être certaine de
recevoir aide et soutien de la Ligue. Ludovic Trarieux
ne vivra pas la réhabilitation complète du capitaine Dreyfus le 12 juillet
1906. Il mourut le 13 mars 1904 à Paris.
Le fil rouge de la vie de Ludovic Trarieux se retrouve dans sa pensée moderne et dans son
engagement de très haut niveau au service des droits de l'Homme. Ludovic Trarieux fut, avec sa revendication pour un accès libre aux
études supérieures, en avance de près de 100 ans sur son époque. Ce n'est que
le 19 décembre 1966 que l'assemblée générale de l'ONU adopta le Pacte
international sur les droits économiques, sociaux et culturels, qui, dans son
l'article 13, établit le droit à l'éducation comme droit de l'Homme et
revendique l'accès gratuit aux études universitaires. L’Allemagne adhérera à ce
pacte en 1973. Le débat actuel sur le manque de perméabilité sociale de notre
système éducatif montre combien nous sommes loin, dans notre pays, de ces
revendications.
Heureux soit donc le barreau qui peut compter
des personnalités telles que celle de Ludovic Trarieux
parmi ses membres ! Rien d'étonnant, alors, qu'un barreau comme celui de
Bordeaux ait depuis des décennies un Institut des droits de l'Homme, et que fut
créé par ce dernier, dans les années 1980, un prix des droits de l'Homme
décerné par des avocats à des avocats. Il s'agit à ma connaissance du premier
et vraisemblablement aussi de l'unique prix de ce genre.
Le premier lauréat de ce prix fut Nelson
Mandela en 1985. À cette époque, Mandela était encore un proscrit, un
terroriste, incarcéré depuis déjà plus de 20 ans, dont une grande partie isolé
sur une île-prison devant la ville du Cap. Un effondrement du système de
l'Apartheid n'était à l'époque pas en vue. Ce fut donc une décision
clairvoyante et courageuse de la part du jury d'alors.
Dans les années qui suivirent, l'institut de
Bordeaux grandit. D'autres barreaux en France, en Belgique et au Luxembourg
reprirent cette idée et fondèrent eux aussi des instituts des droits de
l'Homme. Le vœu naquit de mettre ces instituts sous un toit commun, et ainsi
fut créé l'Institut des droits de l'Homme des avocats européens - l'IDHAE.
Ludovic Trarieux est certes mort depuis plus de 100
ans, mais comme vous le voyez, son esprit est bien vivant ! Et s'il est
quelqu'un qui a porté et porte encore ce flambeau, c'est bien Bertrand Favreau,
ancien bâtonnier du barreau de Bordeaux, président de l'Institut des droits de
l'Homme du barreau de Bordeaux et actuel président de l'IDHAE.
Mais qu’est-ce qui rapproche le barreau de
Berlin et l'IDHAE ? Du fait de sa situation particulière, Berlin a
toujours été au centre de l’intérêt général mondial. Cela s'accentua avec la
chute du mur ; le nombre de touristes s'accrut. Mais la nature de
l’intérêt pour cette ville changea également. On voulait observer comment se
passerait l'intégration des deux parties de l'Allemagne. C'est ainsi que le
barreau de Berlin eut de plus en plus de contacts à l'étranger, le statut de
capitale de Berlin jouant de plus un rôle certain. Un des contacts les plus
étroits s'établit avec les collègues israéliens. Ce contact permit de jeter une
nouvelle lumière sur l'héritage sombre du passé national-socialiste, pourtant
déjà bien connu de tous. Ainsi naquit le projet de livre « Avocat sans
droit » racontant le destin d'avocats juifs sous la dictature hitlérienne.
L'histoire reste cependant de peu de valeur si
l'on ne la considère que d'une perspective purement historique. Bien au-delà,
il s'agit d'en tirer les conséquences pour notre comportement futur. Le barreau
de Berlin commença donc à considérer l'assistance aux collègues avocats
poursuivis à l'étranger comme relevant de sa responsabilité. Il en vint ainsi
aux premières observations de procès dans des affaires menées contre des
collègues en Turquie en 1997 et 2000, observations qui sont cependant survenues
plutôt par hasard.
Au même moment, l'intégration de l'Europe
avançait et avec elle le rapprochement de ses avocats. L'ancien président du
barreau de Berlin, Kay-Thomas Pohl, rencontra ainsi
Bertrand Favreau, qui lui parla du travail de l'IDHAE. Il ne fallut que peu de
force de persuasion pour que le barreau de Berlin devienne membre de l'IDHAE.
C'était probablement en 2003 ou 2004.
La remise du prix Ludovic-Trarieux
à Bordeaux en 2010 se déroula au château La Brède, le
domaine familial de Montesquieu. L'esprit de ce dernier est d'ailleurs aussi
bien vivant, et il serait intéressant d'étudier plus avant quelles lignes
intellectuelles communes ont circulé, malgré un siècle les séparant, de
Montesquieu à Ludovic Trarieux, et jusqu'à Bertrand
Favreau. En 2010, j'avais été prié de dire quelques mots au nom du barreau de
Berlin lors de cette remise de prix. Je mentionnai notre sombre héritage du
temps national-socialiste et l'engagement en découlant pour le futur. Ce serait
donc, ajoutai-je, une marque de reconnaissance de nos efforts pour surmonter
cet héritage que de pouvoir un jour organiser la remise du prix Ludovic-Trarieux à Berlin.
Voilà pourquoi cette cérémonie se déroule ici
cette année, à Berlin, dans ce lieu dont les national-socialistes
ont criminellement « abusé ». Mais je reste profondément convaincu
que la justice, inconcevable sans un respect des droits de l'Homme, aura le
dernier mot, malgré les attaques répétées à cette encontre et les revers subis.
Après la décision du jury de l'IDHAE en mai de
cette année en faveur de l'avukat (avocat) Muharrem Erbey, nous apprîmes par
hasard en juillet que le délégué aux droits de l'Homme du gouvernement fédéral,
Monsieur Markus Löning, avait déjà rendu visite au
futur lauréat en prison, en juin de cette année, sans pour autant avoir
connaissance de sa nomination.
Cela me semble prouver combien notre décision
fut la bonne. Nous primes contact avec Monsieur Löning
qui nous suggéra de nous engager directement sur place pour la libération de
notre confrère, et nous assura son soutien dans cette entreprise.
Monsieur Löning n'en
resta pas aux mots, mais passa de la parole aux actes. Ainsi, nous furent
soutenu dans nos efforts à Ankara et Diyarbakir par l'ambassade d'Allemagne.
Nous vous remercions pour ce soutien, Monsieur Löning,
mais surtout pour vos encouragements, certes à tenir compte des conseils des
diplomates allemands, mais également à mener cette affaire comme le ferait des
avocats.
C'est ce que nous fîmes, et nous eûmes ainsi
la possibilité de présenter notre requête au chef du département des Relations
juridiques internationales du ministère de la Justice turc, Monsieur Dogan. Monsieur Dogan nous
remercia pour nos paroles franches et, bien que n'étant pas responsable de ce
domaine, nous aida à nous procurer une autorisation de visite de notre
homologue Monsieur Erbey. Le plus grand bénéfice de
cette rencontre, cependant, fut d'apprendre qu'une visite officielle de notre
ministre fédérale de la Justice à Ankara était prévue fin octobre, visite alors
encore confidentielle et dont nous ne savions rien.
Au cours de conversations avec des collègues
de l'association pour les droits de l'Homme Insan Haklan Dernegi (IHD), dont notre lauréat
est le président suppléant et président du groupe régional, nous apprîmes
beaucoup sur le droit et la réalité de son application dans une Turquie en
route vers l'Europe. Ceci est un vaste sujet, et il y aurait matière à remplir
des séminaires entiers. Je ne mentionnerai ici que deux des nombreuses
informations recueillies pendant ces entretiens:
Avant les dernières réformes de la procédure
pénale, des personnes ont été emprisonnées, sans être présentées à aucun juge,
maltraitées et torturées pendant leur incarcération. 70 à 80% d'entre eux ont
été cependant relâchés dans les trois à quatre semaines qui suivirent.
Aujourd'hui - après les réformes de la justice - les détenus sont présentés au
juge dans un délai de quatre jours. Pas d'actes de tortures ou de maltraitances
ne sont connus. Par contre, ils restent souvent des années en détention
provisoire sans accusation. On peut aussi commettre des injustices de manière
légale.
Les tribunaux d'exception - compétents en
matière d'actes terroristes et séparatistes - ont été supprimés. À leur place
sont apparus des tribunaux correctionnels aux compétences spéciales, qui ont
repris la fonction et le mode de travail des tribunaux d'exception sans
restriction aucune. Une nouvelle étiquette ne suffit pas pour se débarrasser de
« fûts de déchets toxiques ».
Nous eûmes des entretiens avec le président et
le vice-président du Barosu Türkyie
Barolar Birlirigi Barosu - l'union des barreaux turcs, l'équivalent de notre
barreau fédéral -, avec le président et des membres de la direction du barreau
de Diyarbakir et avant tout, une conversation de plus de trois heures avec
notre collègue Muharrem Erbey
dans la prison de Diyarbakir. L'impression que nous avait déjà donnée Monsieur Löning au sujet de ce dernier s'en trouva confirmée :
un avocat engagé, honnête et sincère, combatif et créatif. Car notre lauréat
est non seulement avocat, mais aussi écrivain et membre du PEN club.
Sont incarcérés aux côtés de Monsieur Erbey cinq autres avocats ainsi que de nombreux fonctionnaires
des administrations de la ville de Diyabakir et des
communes environnantes. Diyarbakir, 1,5 million d'habitants, a une structure
similaire à celle de la ville de Berlin, avec un maire et des maires
d'arrondissement. Tous les maires d'arrondissement sont incarcérés. Seul le
maire de la ville est encore en liberté. Une enquête est cependant également
menée contre lui. En tout, 140 personnes sont inculpées, dont 95 sont
emprisonnées. Muharrem Erbey
est l'un d'eux.
Après notre visite à la prison, nous pûmes
nous faire une impression du procès mené contre lui et les autres 140 inculpés.
Cette observation donnerait également matière à remplir des séminaires entiers.
Là aussi je ne veux mentionner qu'une des nombreuses choses dont nous avons
pris connaissance:
Comment peut-on mener un procès contre 140
personnes qui respecte un minimum les principes du droit, lorsque le seul
élément commun aux inculpés consiste en la disposition pénale utilisée contre
eux dans l'acte d'accusation, mais que tous les inculpés sont accusés pour des
actes totalement différents les uns des autres ?
La réponse à cette question paraît
évidente !
De retour à Berlin, nous avons immédiatement
pris contact avec le ministère fédéral de la Justice et rapporté notre
rencontre avec Monsieur Dogan. Nous avons pu relater
les informations recueillies et faire part de nos impressions à la ministre de
la Justice au cours d'un entretien personnel. Au cours de sa visite officielle
en Turquie, la ministre aborda ce sujet auprès de son homologue turc et demanda
la libération de notre lauréat. Malheureusement sans succès.
Je ne manquerai pas cette occasion, chère
Madame la Ministre, de vous remercier pour avoir soutenu l'ordre des avocats si
résolument dans cette importante affaire. Nous souhaitons également remercier
Monsieur Löning pour nous avoir donné la première
impulsion. Sans sa suggestion, nous n'aurions probablement pas entrepris cette
tentative.
J'en arrive à la fin de ma présentation, même
si nous ne sommes pas à la fin de cette affaire. Ce matin, Monsieur Löning a accueilli Madame Erbey
et ses enfants au ministère des Affaires étrangères. À cette occasion, il a
encore une fois rappelé la raison de son engagement.
Monsieur Erbey a
toujours défendu des victimes et leurs proches - sans distinction
d'appartenance -, les parents de soldats, de policiers, de représentants des
services administratifs d'une part, mais d'autre part aussi les parents de
membres du PKK emprisonnés, blessés, voire tués. Il s'est toujours engagé en
faveur du dialogue. Trouver un terrain d'entente entre les partis malgré tous
les clivages est une des plus importantes missions de tout avocat. Qui pourrait
y parvenir mieux que celui qui connaît la souffrance vécue des deux
côtés ? C'est donc de mon point de vue tout particulièrement ignoble que
de lui reprocher maintenant, partialement, uniquement ses mandats aux côtés des
parents de membres du PKK, mis à part qu'il n'a rien commis de coupable ce
faisant.
La manière d'agir des services administratifs
et des tribunaux turcs contre Muharrem Erbey, mais aussi contre d'autres collègues, reflète leur
incompréhension complète des « Principles on the
role of Lawyers ». Ces principes, adoptés par
les Nations Unies, sont un consensus au sein de la communauté internationale.
Le principe de base, d'où découlent toutes les autres règles, veut qu'un avocat
ne puisse-t-être assimilé à son client ou à l'affaire de celui-ci.
Nous aussi, comme notre homologue Monsieur Erbey, misons sur le dialogue. Ainsi, le 24 janvier 2012,
jour de l'Avocat en danger, nous n'avons pas seulement manifesté devant
l'ambassade de Turquie à Berlin à cause des arrestations en masse survenues en
novembre 2011, comme l'ont fait des collègues devant les représentations
consulaires de Turquie de 20 villes européennes le même jour, mais nous avons
aussi recherché le dialogue avec l'ambassadeur et parlé, avec son ministre
plénipotentiaire, des « Principles on the role of Lawyers ». Nous poursuivrons ce dialogue,
je l'espère, dans l'esprit de notre lauréat, et avec l'appui de notre
gouvernement.
Permettez-moi conclure avec une déclaration
d'amour pour la ville de Diyarbakir, ville avec laquelle le lauréat est
étroitement lié.
Si un jour vous deviez vous trouver en Turquie
orientale, n'hésitez pas à visiter cette ville au croisement de deux antiques
routes de caravanes. Une de ces routes reliait le Nord au Sud, l'autre,
l'Occident et l'Orient, en fin de compte l'Europe de l'ouest et la Chine. 1700
ans déjà avant notre ère, au temps d'Hammourabi, se trouvait ici une ville
hittite, surplombant légèrement les rives du Tigre.
Ici commençait la terre de Mésopotamie,
également vieille terre biblique. Un vieux mur de la ville datant de l'époque
romaine, plus grand et mieux conservé que celui d'Istanbul, est encore debout.
À certaines époques, une vie religieuse florissante pour les trois grandes
religions monothéistes était possible dans une seule et même ville.
Si l'on veut mener un dialogue entre l'Orient
et l'Occident, on ne peut trouver meilleur endroit que cette ville, elle-même
marquée par le dialogue depuis des siècles.
À cela, même une politique à courte vue n'y
changera rien. Cette ville du dialogue imprègne encore maintenant ses habitants
de son esprit, comme elle a marqué notre collègue et lauréat dans son
engagement indéfectible en faveur du dialogue.
Par notre décision de décerner le prix
Ludovic-Trarieux à notre confrère Muharrem
Erbey, nous avons renforcé le dialogue et l'entente,
sans lesquels la protection et la réalisation des droits de l'Homme restent
inconcevable.
Discours
Bertrand
FAVREAU
du XVIIème
Prix International des Droits de l’Homme « Ludovic Trarieux »
à
Muharrem Erbey
Etre libre,
ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ;
c'est vivre
d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres.
Nelson
Mandela
Pourquoi Mandela ?
Le « Prix International des Droits de
l'Homme – Ludovic-Trarieux » est sans doute la plus ancienne
et la plus prestigieuse des récompenses réservées à un avocat. Souvent imité ou
contrefait, il demeure la seule récompense européenne des droits de l'homme
dont la dotation financière est consacrée à un avocat. Son origine remonte au
message de Ludovic Trarieux , fondateur, en 1898, au moment de l'Affaire Dreyfus, de la
« Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen » : « Ce n'était pas seulement
d'ailleurs la cause isolée d'un homme qui était à défendre, c'était, derrière
cette cause, le droit, la justice, l'humanité ».
Il est décerné à « un avocat sans
distinction de nationalité ou de barreau, qui aura illustré par son œuvre, son
activité ou ses souffrances, la défense du respect des droits de l'Homme, des
droits de la défense, la suprématie du droit, la lutte contre les racismes et
l'intolérance sous toutes leurs formes ».
Un an après sa création, le Premier
Prix a été attribué le 27 mars 1985 à Nelson Mandela alors emprisonné depuis 23
ans en Afrique du Sud. Il a été remis officiellement à sa fille, le 27 avril
1985. C’était alors le premier prix qui lui était décerné dans le monde par des
confrères avocats.
Pourquoi Mandela ? Pourquoi faut-il toujours et encore
combattre contre le racisme ? Pourquoi faut-il encore le répéter dans
cette salle d’audience de la Kammergericht de Berlin
où eurent lieu tant de condamnation dans la première moitié du siècle
précédent, contre tant d’êtres humains qui n’avaient commis qu’un crime :
celui de lutter pour leur – pour notre – liberté ? La xénophobie avec laquelle
on confond souvent le racisme, est plus précisément « l'hostilité
manifestée à l'égard des étrangers ou tout ce qui est étranger ».
Toute théorie, toute politique fondée sur la croyance d’une
supériorité de certains hommes sur les autres, conduit à la domination de
ceux-ci sur les autres. Théorie ou comportement, racisme et xénophobie ont en
commun la perception de l'autre comme différent, inférieur ou mauvais et
relèvent, tous deux, de ce qu’Albert Memmi a nommé : l'hétérophobie.
Ils reposent sur un même préjugé : la conviction de
différences valeur entre les groupes humains qui s’accompagnent d’une
représentation stéréotypées des particularités physiques visibles ou des
caractéristiques culturelles, linguistiques ou religieuses attribuées aux membres
d’un même groupe. Ils débouchent inéluctablement sur la haine, l’exclusion, la
violence et, à titre collectif, sur un racisme institutionnel ou d'état : le
régime nazi, ordonnateur de l’extermination d'un peuple tout entier pour le
seul « crime d'être né », selon l’expression de l’écrivain français
André Frossard, mais aussi la ségrégation raciale aux Etats-Unis, ou le régime
de l'apartheid en Afrique du Sud.
Cette attitude a pourtant été condamnée dès l’époque des grandes
découvertes. Cette rencontre avec un monde jusqu’alors ignoré qui devait
s'accompagner aussitôt de la tentation de refuser toute humanité aux habitants
des terres inconnues. Cette négation aura pour sœur jumelle la première
déclaration antiraciste, avec le sermon du dominicain Antonio de Montesinos, en 1511 : « Dites-moi, quel droit et quelle justice vous autorisent à maintenir
les Indiens dans une aussi affreuse servitude ? … Ne sont-ils pas des
hommes ? Ne sont-ils pas des êtres humains ?» (Bartolomeo de Las Casas, Histoire
des Indes.).
Jusqu’au XVIIIème siècle c’est la couleur de la peau qui obsède.
Le XIXème allait suggérer d’autres différences, toujours à vocation
discriminatoire, que nous ne connaissons que trop bien. De trop rares voix ont
protesté parmi lesquelles celle de l’anthropologue anglais Edward Burnett
Tylor condamnant, dès 1871,
l’usage du mot race ou du poète José Martí, né à Cuba dernier bastion de
l’esclavage dans les Amériques, s’insurgeant contre l’instauration de
« races de bibliothèques », et répétant, à partir de 1890, « l‘homme est un », ou « il
n’y a pas de races».
La
publication par l'Unesco de la déclaration sur la race, en juillet 1950, a
consacré l'absence de validité scientifique de la notion de différences chez
l’homme. Biologistes, généticiens et paléontologues ont démontré, tour à tour,
que tous les Homo sapiens ont la même origine et chaque être est totalement
différent
De la nature du mal dépend le remède. Le mal est en l'homme. Pour
l'ethnologie, il s’agit d’un phénomène primaire et régressif du genre humain.
D’autres, y voient un phénomène irrationnel ou inconscient, la haine de l'autre
n'est qu'une lutte contre soi ou la résultante d’une contradiction interne,
d’une haine de soi.
Voilà
pourquoi, il y a vingt-huit ans, Nelson Mandela avait reçu ce prix. Il était
alors, peu connu, et presque oublié dans sa prison, pour six années
encore…jusqu’à 1990. Et, lorsque avec Catherine Lalumière, il y a près de trente ans, j’ai eu l’immense honneur de lui remettre ce
prix , en étreignant sa fille, venue pour le recevoir en son nom, il fallut à
cette époque, accepter – pour ne pas rappeler ici le pire - de se faire traiter
de « suppôt du terrorisme », et accuser de « financer les
attentats contre les blancs d’Afrique du Sud », y compris dans son propre
barreau.
Phénix ou hydre, le rejet de l'autre connaît
toujours des récurrences protéiformes. La nécessité impérieuse de parfaire
constamment l’arsenal législatif démontre que la lutte contre le racisme et la
xénophobie est appelée à demeurer un combat toujours recommencé parce qu'elle
est d'abord une lutte de l’homme, animal social ou simple individu, contre
lui-même.
Cela est
vrai que « les autres » constituent une majorité comme au temps de
l’apartheid, ou qu’ils soient désignés comme une minorité comme les Kurdes,
écartelés entre plusieurs pays, où ils sont toujours la minorité de beaucoup
d’autres qui les oppriment.
Ainsi le voyons-nous, le combat des minorités pour leur droit
n’est pas différent du combat des majorités. Il s’agit toujours d’un combat de
l’individu pour la reconnaissance de son existence vraie et de sa liberté. Une
conception universaliste de la société n’est pas le fondement d’une négation
des minorités.
Voilà
pourquoi la haine de l’autre, la discrimination envers les minorités procède de
la même démarche. C’est elle qui conduit à la persécution de la minorité kurde
et à l’emprisonnement des avocats qui en défendent la cause.
Nous croyons que la question Kurde ne peut être résolue en
Turquie sans l’arrêt des opérations militaires, sans
une amnistie générale, sans véritables
réformes économiques et sociales, sans
la garantie des libertés individuelles et collectives,
sans une nouvelle constitution et le
pluralisme démocratique, sans l'ouverture
de négociations pour la reconnaissance par la Turquie des droits légitimes du peuple
kurde: politiques, les droits culturels, le droit
à l'éducation dans leur langue
maternelle.
N’oublions jamais que ce n’est pas une « minorité »,
les kurdes sont un peuple.
La prison de Diyarbakir, qui ressemble avec cinq ailes parallèles à une usine moderne est
complètement surchargée. Les
prisonniers sont logés dans des logements qui sont construits pour 30 personnes. Aujourd’hui, ils ont
entassés jusqu'à 60 prisonniers. Ils dorment dans des couchettes, empilées jusqu’à la hauteur de cinq
contre les murs.
Les cellules collectives ne disposent pas de leur propre toilette. Les prisonniers doivent aller dans le couloir pour atteindre les toilettes communes.
Pour Muharrem Erbey,
cet autre que d’autres ne veulent pas reconnaître, cela dure depuis trois ans.
Trois ans sans jugement.
Et là nous, nous ne pouvons nous
empêcher de penser aux vers de Kurt Tucholsky, ce poète anticonformiste né à
Berlin: « Avez-vous déjà.. »…
Et vous,
Avez-vous déjà ?
« Avez-vous déjà huit heures chaudes durant subi
Un interrogatoire
que vous ne comprenez pas ?
Avez-vous déjà vu s'écouler sur un mur
de cellule toutes les secondes d'une nuit
? »
Et nous ? Pour nous c’est là que réside ce message d’un
autre poète, Hölderlin, dans Andenken, écrit après
son voyage à Bordeaux :
Et l'amour, aussi, garde un regard attentif
Mais ce qui demeure, le fondent les poètes.
Muharrem Erbey est l'un des nombreux exemples de la répression continuelle subie par les
Kurdes. Dans une lettre de sa prison turque à ses frères, il
a cité ces paroles de Voltaire: «Ceux qui ont perdu leur
liberté, ils ont perdue parce qu'ils ne l’ont pas défendue."
Oui, de Mandela à Erbey, ce prix aura-t-il été fidèle à lui-même. Il démontre une fois encore que lorsque l’homme ne dispose d’aucune autre solution, la liberté, comme le disait Gandhi, se conquiert dans les prisons.
C’est pour cela que le Jury a choisi d’être aux côtés de Muharrem Erbey dans sa prison et
de lui décerner ce prix.
Discours de Muharrem EREBEY
Lauréat du Prix 2012
Alors qu’il était détenu dans une
prison de Haute sécurité en Turquie, Muharrem Erbey, lauréat du Prix 2012, a fait lire par sa femme
Burçin, en présence de ses enfants, le discours suivant, qu’il a écrit dans sa prison,
à Berlin, le 30 novembre 2012.
Qu’est-ce qu’un avocat kurde en Turquie ?
Remerciements
Très honorés organisateurs du prix
Ludovic-Trarieux,
Mesdames, Messieurs,
À l'occasion de la remise du 17ème
prix international des droits-de l'Homme Ludovic-Trarieux,
je souhaite vous remercier très chaleureusement d'avoir distingué le travail
d'un juriste et activiste des droits de l'Homme kurde. Ma très chère femme Burçin ainsi que mes enfants, Robin et Rober, me représenteront
pour cette remise de prix.
Je vous envoie à tous, de cette prison
humide aux murs froids, aux grilles barbelées et portes en fer, mes salutations
les plus chaleureuses.
Pour la première fois, un prix si important est remis à un
juriste kurde. J'accepte ce prix au nom de Seyh Sait,
Seyit Rua, Kazi Muhammed, Mele Mustafa Barzani
ainsi qu'au nom de tous les kurdes.
On ne peut savoir ce que la vie
apporte à chacun ni à quel moment. Lorsque l'on vit parmi des hommes acharnés
et que l'on doit lutter pour être soi-même, mieux vaut être préparé aux
surprises, et cela indépendamment des histoires en Turquie de l'Est. Ici, à
l'Est, il est des hasards étranges, des surprises, des hauts et des bas. Pour
ceux qui ont une moindre tolérance à la douleur, la vie devient difficile,
insupportable. Ce paysage géographique apprend aux hommes et femmes à endurer
les difficultés. Tous connaissent les difficultés de la vie, des enfants de la
montagne aux kurdes, et on ne sait combien de peuples souffrent au total, en
tous cas notre vie n'a toujours tenu qu'à un fil, pouvant basculer d'un instant
à l'autre.
En considérant les deux siècles
passés, il y a eu des promesses politiques, des enquêtes et de grands
renversements, des circonstances difficiles à cause des bouleversements et du
changement, des revendications d'égalité et d'indépendance formulées de la part
de différentes identités, de différents groupes et peuples, et à cause des
renversements provoqués justement par nos re-vendications,
nous avons connus des violations massives des droits de l'Homme. Le pouvoir en
place a détruit l'harmonie existante pour imposer de force sa culture, sa
langue et son mode de vie. Pour ceux qui se plaignaient, demeuraient toujours
les mêmes options: émigration, exil, assimilation, prison et mort. Malgré cela,
les objections des peuples opprimés n'ont cessé de se multiplier. Une grève de
la faim de 68 jours menée par des kurdes en Turquie s'est terminée, il n'y a
que quelques jours, représentant la continuation de ces injustices séculaires.
Il est réjouissant de savoir que cette grève de la faim s'est terminée, et
j'espère qu'ils n'auront pas à revivre cela.
Au début du siècle, turcs, kurdes, adyguéens, lazes et bien d'autres peuples ont commencé à
l'unisson le long trajet vers une Anatolie indépendante. À cette époque, les
kurdes d'Anatolie représentaient un tiers de la population. Ils sont morts
ensemble dans cette guerre d'indépendance. La juridiction d'après-guerre n'a
reconnu que l'identité ethnique, la langue, la culture et l'existence turque.
Les autres peuples, langues et cultures ne comptaient pas au vu de ces lois. Et
c'est exactement cela qui nous a mené à la situation problématique actuelle,
c'est à cela que nous faisons objection. Tout le monde ne parle que de la
«question kurde », mais il s'agit en fait d'une plainte contre l'absence
d'égalité entre tous en un même lieu de résidence.
Depuis douze ans, je suis actif comme
défenseur des droits de l'Homme à Diyabakir et j'ai
rédigé des rapports sur les infractions à la loi commises par les services de
sécurité, j'ai critiqué leur mode d'action et déposé des plaintes, et ils ont
pour cela fait de moi un prisonnier politique.
J'aimerais qu'hommes et femmes n'aient
pas besoin de se retrouver en prison pour faire l'expérience de la beauté de la
vie. Ma femme Burçin et mes enfants Robin et Rober
m'ont beaucoup manqué. Robin, mon fils de 11 ans, et Rober, mon fils de 6 ans
demandent : « Papa, combien de temps vas-tu être encore occupé, et quand
rentres-tu à la maison?». Je leur dit « bientôt», mais je ne sais pas moi-même
quand prendra fin cette cruauté.
« La géographie est destin », disait Ibn Khaldoun,
et me revient à l'instant à l'esprit. Exactement mon vécu, le destin des
partisans du droit et de l'égalité. Notre seule requête est d'être traités en égaux, bien que nous soyons différents. Il y a un
an, le village de Roboski dans la province Sirnak a
été détruit par 34 bombes, au moment-même où les habitants faisaient du
commerce transfrontalier. Où sont les responsables, qu'a-t-il
été fait? Absolument rien ! Oui, la géographie est destin. Nous, l’IHD
(organisation de défense des droits de l'Homme), voulons empêcher ce genre de
morts et si cela arrive, demander des comptes aux responsables, et nous sommes
devenus nous-mêmes la cible de poursuites.
Nous ne sommes à aucun moment devenus
une ONG contre l'État. Nous avons seulement documenté et critiqué quelques-unes
des infractions graves à la loi. J'ai exigé plus de droits de l'Homme. Pendant
mon travail à l'IHD, j'ai accueilli chacun venant à nous avec un sourire, j'ai
essayé de soulager sa détresse et de l'aider. Je n'ai brisé aucun cœur et n'ai
même pas haussé la voix.
Je n'ai jamais pris en compte
l'origine ethnique ou les convictions politiques des requérants et je les ai
aidés indépendamment de cela. J'ai toujours refusé la violence et n'ai jamais,
de toute ma vie, porté sur moi ne serait-ce qu'un couteau de poche. Mais ils
m'appellent maintenant « membre d'une organisation armée ». Je n'ai dévoilé la
vie privée de personne, mais uniquement nommé les applications du droit «
fausses ». J'ai parlé de l'urgence de trouver une solution, et de méthodes de
règlement des conflits. J'ai béni les morts qu'ils reposent en paix. « La
colère n'est pas ton allié », disait-on jadis. J'ai ainsi fait face aux
problèmes avec un sourire et des moyens pacifiques, avec le dialogue. J'ai
toujours essayé de préserver la dignité humaine.
Dans la déclaration universelle des
droits de l'Homme il est écrit que « l'égalité, la liberté et la justice »
valent pour tous. J'ai toujours regardé le monde avec mon cœur. J'ai lutté pour
que chacun soit « libre et égal ». J'en fais maintenant les frais. La
souffrance est partagée entre tous. Une souffrance partagée est moins grande.
Cela fait maintenant environ quatre
ans que près de 8.000 politiciens, maires, parlementaires, journalistes,
défenseurs des droits de l'Homme, membres, employés et activistes du BDP (parti
pour la paix et la démocratie), avocats et universitaires kurdes, et, à côté
des kurdes, d'autres personnes exprimant un avis critique comme des féministes,
des écologistes et des universitaires, se trouvent incarcérés de manière
injuste et illégale. Les médias nous appellent des otages politiques. « Si tu
as peur, tu tomberas », dit un proverbe africain.
Sans peur, nous avons toujours voulu
la paix. Nous voulions que les morts cessent, nous voulions, en fraternité, un
pays culturel commun où l'on vit la paix. Mais enfin, pourquoi tous les
dissidents sont-ils en prison en Turquie ces dernières années? N'y a-t-il personne qui se pose la question?
Le peuple le plus vieux et autochtone
de Mésopotamie (dans le sens d'habitants de cette région) sont
les 40 millions de kurdes éparpillés et vivant dans des conditions difficiles
en Turquie, Iran, Irak, Syrie et dans cent autres pays, quand pourront-ils un
jour sourire? Depuis deux cent ans, les kurdes qui pensent différemment, qui
ont vécu l'oppression, les poursuites, l'exil, l'émigration, l'assimilation, la
prison, l'étroitesse, le massacre collectif, ces kurdes veulent pouvoir donner
un nom à leur village, à leurs fleurs, à leurs enfants dans leur propre langue,
avoir leur propre chant, vivre leur propre culture et s'administrer eux-mêmes.
C'est tout. Une vie n'est pas immortelle. Mais ce que nous avons fait, ce que
nous avons mis au jour, nos mots sont eux immortels. Nous sommes ici, parce que
nous avons démasqué les mauvais politiciens.
Ces trois dernières armées, personne
n'a été libéré de prison. Des dizaines de milliers de kurdes attendent la fin
de cette cruauté. Mevlana dirait : « Quand ton âme change, le monde change ». Nous
souffrirons toujours si nous ne changeons pas les âmes et les esprits, et si
nous implorons toujours de la même manière. Où êtes-vous, amis qui veulent
partager notre souffrance avec nous?
Tout au long de ma vie j'ai trouvé une
issue avec la tolérance et le dialogue. J'ai essayé de me mettre à la place de
l'autre, quel que soit celui venant à l'IHD ; soldat, policier, gardien, je
n'ai pas fait la distinction avec les familles du PKK. J'ai enregistré chaque
demande et l'ai traitée consciencieusement. Personne n'a dû faire demi-tour à
la porte de l'IHD à cause de ses idées politiques ou de son origine ethnique.
Personne, mais vraiment personne, n'a dû faire demi-tour.
Au travers des plaintes des victimes,
nous avons critiqué les pratiques injustifiées et excessives de certaines
forces de sécurité en précisant lieu, heure et autres détails. Nous avons
transmis les dossiers des victimes à l'avocat général. Nous avons aussi essayé
de sensibiliser le gouvernement à ce sujet. Nous sommes en faveur d'un
processus démocratique public, mais quelles qu'ont été nos paroles, elles n'ont
pas été suffisamment prises en compte. Nous ne sommes pas un parti politique.
Nous sommes du côté des victimes. Quand la famille d'une victime kidnappée
s'est tournée vers l'IHD, nous nous sommes engagés pour cette famille. Quand
l'enterrement de membres du PKK fut refusé aux familles et que celles-ci se
sont tournées vers nous, nous nous sommes engagés au côté de ces familles. Nous
nous sommes tournés vers l'avocat général pour que l'enterrement soit laissé au
soin des familles. En présentant le dossier à l'avocat général, nous avons
essayé d'obtenir un changement en faveur de plus de justice.
Au cours de mes discours devant les
parlements d'Angleterre, de Suède, de Belgique et devant les Nations Unies à
Genève, j'ai parlé des droits de l'Homme, de démocratie et d'une solution
pacifique dB la question kurde, qui a été considérée comme étant une «
diffamation des services de police et militaires de l'État». Nous sommes un
miroir. Au travers de nos rapports, nous montrons à chacun ce qui s'est passé.
Nous n'inventons rien. Nous ne parlons que sur la base de documents et de
rapports.
Notre enfance représente le début de
nos rêves. Un beau souvenir nous vient soit d'un rêve, soit de souvenirs
d'enfance. Je voulais propager l'égalité de tous de mon monde d'enfant dans le
monde actuel. N'est-ce pas le rêve de voir tout le monde sourire un jour, qui
nous maintient debout? Diyarbakir fut un jour un endroit où la mosquée, la
synagogue et l'église se côtoyaient, où le son de l'appel à la prière se mélangeait
au son des cloches pour la messe, où régnaient l'amour et le respect, où l'on
entendait parler turc, kurde et arabe dans les rues. Je voulais réaliser mon
rêve d'un lieu où chacun peut parler sa propre langue et vivre librement sa
propre religion.
Depuis deux siècles, une odeur de
poudre s'accroche aux plantes et aux arbres des lieux où vivent des kurdes.
L'odeur de la mort des montagnes aux vallées, des vallées jusque dans les
villages, les maisons, les chambres, dans nos lits, nous en avons assez de nous
soumettre. L'oppression du peuple kurde qui dure depuis deux siècles doit enfin
cesser. Nous voulons qu'ils cessent de vouloir faire de nous, par la force et
la pression, des turques, des arabes, des perses, en nous imposant leurs
cultures et leurs langues. Nous sommes nés kurdes dans cette région. Nous
voulons vivre kurdes et mourir kurdes.
« La
vie s'apprend » dit Spinoza. Parfois, certaines catastrophes nous rapprochent
les uns des autres. Les catastrophes vécues au long des deux siècles passés ne
suffisent-elles pas ? Maintenant, nous voulons vivre de nouveau ensemble comme
avant. Vu d'une perspective historique, ce sont les moments de vie commune
entre turques et kurdes qui l'emportent. La confrontation entre eux, à quelque
époque que ce soit, signifie une perte pour chaque côté. Nous savons très bien
aujourd'hui qu'une lutte entre nous, nous nuit à tous.
Qui n'étudie pas bien l'esprit du
temps, ne réussira pas ni ne sera heureux. Nous vivons une époque où les cœurs,
les frontières, le savoir, les valeurs s'unissent. Il y a des différences dans
chaque langue, chaque culture et religion, qu'il faut reconnaître. Aucune
langue n'est meilleure ou pire qu'une autre. Différente, mais égale.
Le malheur est la source de tout
changement individuel et sociétal. Nous les kurdes, sommes malheureux. Pour
être heureux comme tous les autres, nous voulons un changement. Je me trouve
maintenant en prison, j'aime les gens, la nature, la vie jusqu'à l'adoration,
j'ai sacrifié ma vie pour d'autres, je me sens écrasé par les histoires des
autres. Ces personnes au cœur si grand ne sont-elles pas précisément celles qui
changent le monde?
« La
liberté signifie d'essayer de comprendre la vie en profondeur, d'en déchiffrer
le sens ». Pour que les vérités ne restent pas cachées, pour que les injustices
prennent fin, pour que tous vivent libres et égaux, c'est pour cela que j'ai
travaillé. Ceux qui restent muets ne sont-ils pas autant coupables que ceux qui
m'ont privé de ma liberté à cause de cela?
Dans la langue des histoires
orientales, paraboles, livres et tables, et comme dernière remarque « SI NOUS
NE SOMMES PAS LIBRES, VOUS NE L'ÊTES PAS, SI VOUS N'ÊTES PAS LIBRES, NOUS NE LE
SOMMES PAS NON PLUS ! ».
Dans l'espoir de vous revoir en des
jours de liberté,
Avec respect et amour
Muharrem Erbey
Avocat, activiste
des droits de l'Homme, membre de l'assemblée mondiale des écrivains PEN
Prison de haute
sécurité, Diyarbakir, Turquie
Sayın Ludovic-Trarieux
Yetkilileri
30 Kasım, 2012, Berlin
17. Ludovic Trarieux 2012 Uluslar Arası İnsan Hakları
ödülünü, Türkiyeli bir Kürt insan hakları savunucusu ve hukukçusunun
çalışmalarına layık gördüğünüzden dolayı sizlere
şükranlarımı sunuyorum. Ödül töreninde canımdan çok
sevdiğim eşim Burçin, çocuklarımız Robin ve Rober beni
temsil edecekler.
Hepinize cezaevinin nemli, rutubetli, soğuk duvarlarının,
tel örgülerinin, demir kapılarının arkasından
sımsıcak selamlarımı gönderiyorum. İlk defa bir Kürt
hukukçuya verilen bu önemli ödülü, Kürtlerin saygıdeğer tarihi
şahsiyetleri Şeyh Sait, Seyit Rıza, Kazi Muhammed, Mele Mustafa
Barzani’nin ve onurlu tüm Kürtlerin önünde saygıyla eğilerek
alıyorum.
Hayatın kime, ne zaman, ne getireceği bilinmez. Hele doğu
masallarının diyarında, öfkesini her sabah bileyenler
arasında yaşıyor ve kendiniz olmak için mücadele
ediyorsanız, sürprizlere hazırlıklı olmanızda fayda
var. Burada, doğuda hayatın garip tesadüfleri, sürprizleri,
inişleri ve çıkışları vardır. Ağrı
eşiği düşük olanlar için burada hayat zor, çekilmez olur. Bu
coğrafya insana zorluklara karşı direnmeyi öğretir.
Dağların çocukları Kürtler kadar, hayatın
zorluklarını bilen, yeryüzünde kaç kavim vardır bilinmez ama
bizler hayatımızı hep bıçak sırtında geçirdik.
Son iki yüzyılda dünyamıza dönüp
baktığımızda, politik vaatlere, arayışlara ve
büyük yıkımlara, zorbalığa dayalı değişim ve
dönüşümlere, farklı kimliklerin, grupların, halkların
eşitlik ve özgürlük taleplerine, bu taleplerden dolayı yaşanan
büyük yıkımlara, kitlesel boyutta insan hakları ihlallerine
tanık olduk. Gücü, iktidarı elinde bulunduranlar kendi kültürünü,
dilini, yaşam tarzını zorla kabul ettirmeye ahengi bozmaya
çalıştı. Buna itiraz edenlere karşı başvurulan
araçlar hep aynıydı; göç, sürgün, asimilasyon, zindanlar ve ölüm.
Neredeyse başvurulmayan yöntem kalmamasına rağmen baskı
altında olan halklar itirazlarını hep yükselttiler. Türkiye’de
daha birkaç gün önce sona eren ve binlerce Kürt’ün 68 gün boyunca
sürdürdüğü açlık grevleri yüzyıllardır Kürtlere
yapılan bu haksızlıklara itirazların devamıdır.
Binlerce Kürt’ün yapmış olduğu açlık grevlerinin sona
ermiş olması sevindiricidir ve umarım ki bir daha yaşanmak
zorunda olmaz.
Yüzyılın başında Türkler, Kürtler, Çerkezler, Lazlar
ve daha birçok halk da Anadolu’yu özgürleştirmek için uzun bir yola
birlikte çıktılar. O yıllarda Kürtler Anadolu nüfusunun üçte
biriydi. Kurtuluş savaşında birlikte öldüler. Savaş
sonrası tüm yasal düzenlemeler sadece Türk etnik kimliğini,
kültürünü, dilini, varlığını kutsadı, öne
çıkardı. Öteki halklar, diller, kültürler yapılan düzenlemelere
göre bir anda yok sayıldılar. İşte buna yapılan
itirazdır bizleri sorun haline getiren. Herkesin “Kürt sorunu” dediği
mesele ortada, “ortak vatanda eşit yurttaş olma itirazıdır”
aslında.
On iki yıldır, insan hakları savunucusu olarak
Diyarbakır’da güvenlik güçlerinin işlediği ihlallere dair
tespitler, raporlar tanzim ettim, eleştirdim, itiraz ettim diye 3
yıldır elinde gücü bulunduranların siyasi tutuklusuyum.
Keşke insana, hayatın ne kadar güzel olduğunu cezaevi
öğretmeseydi. Eşim Burçin, çocuklarım Robin ve Rober’i, ailemi
çok özledim. 11 yaşındaki oğlum Robin ve 6 yalındaki
oğlum Rober “baba burada ne zaman işin bitecek, eve kaç zaman sonra
geleceksin” diyorlar. Onlara “ az kaldı” diyorum ama ben de bilmiyorum bu
zulüm ne zaman bitecek.
“Coğrafya kaderdir” diyen İbn-i Haldun geliyor aklıma.
Benim yaşadıklarım, bu coğrafyada hak ve eşitlik talep
edenlerin kaderi. Oysa eşit olmak ve
farklılığımızla onay görmekti tek isteğimiz. Bir
yıl önce Şırnak ili Roboski köyünde 34 yurttaş
sınır ticareti yaparken bombalanarak parçalandı. Sorumlular
nerede, ne yapıldı? Koca bir hiç! Evet, coğrafya kaderdir. Biz
İHD (İnsan Hakları Derneği) olarak bu tür ölümlerin
yaşanmaması, yaşanmışsa sorumluların adaletin
önüne çıkmasını istediğimiz için hedef olduk.
Hiçbir zaman devlet karşıtı bir STK (sivil toplum
kuruluşu) olmadık. Yasaya aykırı bazı sert
uygulamaları belgeledik ve eleştirdik. Daha fazla insan hakları
istedim. İHD çalışmaları sırasında
derneğimize gelen herkesi güler yüzle karşılayıp, derdine
derman olmaya, yardım etmeye çalıştım, kimsenin kalbini
kırmadım, hiç kimseyle yüksek sesle bile konuşmadım.
Başvuranın etnik kimliğine, siyasal tercihine bakmadan,
mağdur kimliği esas alarak yardım ettim. Ben şiddeti hep
reddettim, hayatımda bir çakı bile taşımadım. Ama bana
şimdi “silahlı örgüte üyesin” diyorlar. Ben kimsenin mahremiyetini
ifşa etmedim, ortada yanlış uygulamalara
“yanlıştır” dedim. “Şiddet hak arama, sorun çözme yöntemi
olmamalı” dedim. Ölümleri barış perest bir yürekle
kınadım. Yaşadım kutsadım. “Kızgın
davrananın dostu olmaz” demişti eskiler, ondan sorunların güler
yüzle, barışçıl yöntemlerle, diyalog ile çözümünden yana oldum.
Hep insanlık onurunu korumaya çalıştım.
Birleşmiş Milletler İnsan Hakları Evrensel
beyannamesinde yazılı olan “Herkes için Eşitlik, Özgürlük ve
Adalet”i esas aldım. Dünyaya hep kalp gözüyle baktım. “Herkes
eşit ve özgür insan olmalı” mücadelesini yürüttüm. Şimdi
kefaretini ödüyorum. Bu dünyada tüm acılar ortaktır. Acı
paylaşıldıkça azalırmış.
Yaklaşık dört yıldır sekiz bin civarında Kürt
siyasetçi, belediye başkanı, milletvekili, gazeteci, insan
hakları savunucusu, avukat, akademisyen, BDP (Barış ve Demokrasi
Partisi) üyesi, çalışanı ve aktivistleri, farklı ve
eleştirel duruşuyla Kürtlerin yanında yer alan feministler,
ekolojistler,, akademisyenler haksız, hukuksuz yere tutuklu. Siyasi rehine
olduğumuzu söylüyor havadisler. “Korku duyarsan düşersin” der bir
Afrika atasözü. Korkmadan barışı, hep barışı
istedik. Ölümlerin son bulmasını, herkesin kardeşçe dilini,
kültürünü ortak vatanda yaşayacağı bir barışı istedik.
Sahi son yıllarda Türkiye’de muhalif olan herkes neden cezaevinde? Bunu
merak eden yok mu?
Mezapotamya’nın en kadim ve otokton (yerleşik)
halklarından olan, kırk milyon nüfusuyla Türkiye’de, İran, Irak,
Suriye ve dünyanın yüzlerce ülkesinde zorunlu olarak
dağınık yaşayan Kürtlerin yüzü ne zaman gülecek? Son iki
yüzyıldır hep öteki olarak görülen, baskıya, zulme, sürgüne,
göçe, asimilasyona, cezaevine, darağacına, toplu kıyımlara
reva görülen Kürtler, kendi köyüne, çiçeğine, çocuğuna kendi dilinde
isim vermek, şarkı söylemek, kültürünü yaşamak ve kendini
yönetmek istiyor. Hepsi bu. Hayat ölümsüz değil.
Yaptıklarımız, ortaya çıkardıklarımız,
sözlerimiz ölümüzdür. Biz yanlış politikaları teşhir ettik
diye buradayız.
Son üç yılda cezaevine giren hiç kimse tahliye olmuyor. On binlerce
Kürt bu zulmün son bulmasını bekliyor. Mevlana der ki “gönlün
değişirse dünya değişir”. Gönlünüzü, zihninizi
yenilemedikçe, aynı yöntemlerde ısrar ettikçe hep acı
çekeceğiz. Acımızı paylaşacak dostlar nerdesiniz?
Hayatım boyunca hep hoşgörü ve diyalogu esas aldım.
Ötekiyle empati kurmaya çalıştım. İHD’ye gelen kim olursa
olsun; asker, polis, korucu, PKK’li ailesi arasında ayırım
yapmadım. Başvurusunu aldım ve elimi vicdanıma koyup
iş yaptım. Hiç kimse siyasi görüşlerinden, etnik
kimliğinden dolayı İHD’nin kapısından geri
dönmemiştir. Hiç ama hiç kimse dönmemiştir.
Bazı güvenlik güçlerinin orantısız ve aşırı
uygulamalarını, mağdurun yaptığı başvuruyu
esas alarak yer, zaman, belirterek eleştirdik. Mağduru
savcılığa yönlendirdik. Hükümeti de bu konuda duyarlı
olmaya çağırdık. Demokratik açılım sürecini destekledik
ama sonra yetersiz olduğunu görünce bunu dillendirdik. Bizler siyasi taraf
değiliz. Bizler mağdur olanın tarafındayız.
Kaçırılan asker ailesi İHD’ye başvurmuşsa, mağdur
olan asker ailesinin tarafında yer alarak girişimlerde bulunduk. Ölen
PKK’linin cenazesi ailesine verilmemişse ve ailesi bize
başvurmuşsa mağdur olan ailenin tarafında yer aldık.
Cenazenin ailesine verilmesi için savcılığa başvurduk. Biz,
bize yansıyan iddiaları savcıya taşıyarak adaletin
tecelli etmesine yardımcı olmaya çalıştık.
Davet edildiğim İngiltere, İsveç, Belçika
parlamentolarında Birleşmiş Milletler’in Cenevre’deki
binasında İnsan hakları, demokrasi ve Kürt sorununun
barışçıl çözümüne dair yaptığım konuşmalar
“devletin askeri ve polisini karalama” olarak değerlendiriliyor. Bizler
aynayız. Var olanı raporlarla herkese gösteriyoruz. Hiçbir şeyi
uydurmuyoruz. Belgeye, rapora dayanarak konuşuyoruz.
Çocukluğumuz, rüyalarımızın
başlangıcıdır. Nerede hatırlanan güzel bir şey
varsa ya rüyada ya çocukluk anılarında saklıdır. Ben
herkesin eşit olduğu çocukluğuma ait dünyayı, dünyaya
yaymak istedim. Herkesin güldüğü o dünya hayali değil mi bizleri
ayakta tutan! Bir zamanlar cami, havra, kilise kapılarının yan
yana olduğu, ezan sesiyle, çan seslerinin birbirine
karıştığı, ibadetin sevgi ve saygı ortamında
yapıldığı, çarşısında Kürtçe, Türkçe,
Arapçanın konuşulduğu yerdi Diyarbakır. Ben herkesin kendi
diliyle konuştuğu, herkesin dinini serbestçe yaşadığı
bir yer hayalini gerçekleştirmek istedim.
Kürtlerin yaşadığı yerlerde iki yüzyıldır
barut kokusu bitkilere, ağaçlara siniyor. Ölüm kokusunun dağlardan
vadiler, vadilerden o köylere, evlere, odalara, yataklarımıza,
genzimize gelip yapışmasından bıktık. İki
yüzyıldır Kürt Halkına reva görülen eziyet bitsin artık.
Bizi yüz yıllardır zorla ve basıyla Türkleştirmekten,
Araplaştırmaktan, Acemleştirmekten kendi kültürlerini, dillerini
dayatmaktan vazgeçsinler istiyoruz. Biz Kürt olarak bu coğrafyada
doğduk. Kür olarak yaşamak ve Kürt olarak bu coğrafyada ölmek istiyoruz.
“Yaşamak bilmektir” der Spinoza. Bazen bazı felaketler bizi
birbirimize daha da yakınlaştırır, kenetler. İki
yüzyıldır yaşadığımız felaketler yetmedi mi?
Artık yine eskisi gibi bir arada yaşamak istiyoruz. Tarihe dönüp
bakın Kürtler ve Türkler birlikte olduğu dönem kazanmış.
Karşı karşıya geldikleri her dönemde birlikte
kaybetmişlerdir. Artık kavga etmenin hepimize zarar verdiğini
çok iyi biliyoruz.
Zamanın ruhunu iyi okuyamayanlar başarılı ve mutlu
olamazlar. Yüreklerin, sınırların, bilginin, sermayenin
birleştiği bir çağdayız. Her dilin, kültürün ve dinin
farklılığıyla onay görmesi gerekiyor. Hiçbir dil başka
bir dilden üstün veya aşağı değildir. Farklı ama
eşittirler.
Mutsuzluk, bütün bireysel ve toplumsal değişim ve
dönüşümün temelidir. Biz Kürtler mutsuzuz. Herkes gibi mutlu olmak için
değişim istiyoruz. Burada cezaevinde insanları,
doğayı, hayatı tapınacak kadar seven,
başkalarının özgürlüğü için hayatını feda eden
insanların hikayelerine çarpıp duruyorum. Bu kadar büyük yüreklere
sahip insanlar değil mi ki dünyayı değiştirip
dönüştüren.
“Hayatı derinliğine anlamaya, kavramaya çalışmak,
özgürlüktür”. Gerçeklerin saklı kalmaması,
haksızlıkların son bulması, herkesin eşit ve özgür
olması için çalıştım. Bundan dolayı üç
yıldır özgülüğümü elimden alanlar kadar susanlar da buna ortak
değil mi?!
Doğu masallarının, mesellerin, kitabelerin, tabletlerini
dili ve son sözüyle; “BİZ ÖZGÜR DEĞİLSEK SİZ, SİZ
ÖZGÜR DEĞİLSENİZ BİZ ÖZGÜR DEĞİLİZ”
Özgür günlerde görüşebilmek ümüdüyle,
Saygı ve sevgiler.
Muharrem Erbey
Avukat, İnsan Hakları Savunucusu, Pen Dünya Yazarlar
Birliği Üyesi
Yüksek Güvenlikli D Tipi Cezaevi Diyarbakır Türkiye
The "Free Muharrem Erbey !"
Campaign.
Depuis 1984
“L’hommage des avocats à un avocat ”
Créé en 1984, le « Prix International
des Droits de l'Homme – Ludovic-Trarieux » est
décerné à « un avocat sans distinction de nationalité ou de barreau, qui aura
illustré par son œuvre, son activité ou ses souffrances, la défense du respect
des droits de l'Homme, des droits de la défense, la suprématie du droit, la
lutte contre les racismes et l'intolérance sous toutes leurs formes ».
Il est la plus ancienne et la plus
prestigieuse des récompenses réservées à un avocat. Souvent imité ou contrefait,
il demeure la seule récompense européenne des droits de l'homme dont la
dotation financière est consacrée à un avocat. Son origine remonte au message
de Ludovic Trarieux (1840-1904), fondateur, en 1898,
au moment de l'Affaire Dreyfus, de la « Ligue des Droits de l'Homme et du
Citoyen » : « Ce n'était pas seulement d'ailleurs la cause isolée d'un homme
qui était à défendre, c'était, derrière cette cause, le droit, la justice,
l'humanité ».
Un an après sa création, le Premier
Prix a été attribué le 27 mars 1985 à Nelson Mandela alors emprisonné depuis 23
ans en Afrique du Sud. Il a été remis officiellement à sa fille, le 27 avril
1985, en présence de quarante bâtonniers venus d’Europe et d’Afrique. C’était
alors le premier prix qui lui était décerné en France et le premier dans le
monde par des confrères avocats. Cinq ans plus tard, le 11 février 1990, Nelson
Mandela était libéré. A partir de cette date, le prix a été de nouveau
attribué.
Depuis 2003, le prix est devenu
l’Hommage désormais annuel des avocats à un avocat du monde. Il est décerné
conjointement par l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Bordeaux,
l’Institut de Formation en Droits de l’Homme du Barreau de Paris, l’Institut
des Droits de l’Homme du Barreau de Bruxelles, l'Unione
forense per la tutela dei diritti dell'uomo (Rome) la Rechtsanwaltskammer de Berlin, le barreau de Luxembourg
, l'Union Internationale des Avocats
(UIA) et l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens (IDHAE). Il est
remis aux lauréats alternativement dans une des villes où chacun des instituts
exerce son activité.