Ludovic Trarieux Histoire du Prix The Prize 2000 Le Prix 2002 Le prix 2003 Le Prix 2004 Le Prix 2005 Le Prix 2006 Le Prix 2007 Le Livre d'Or
“L’hommage des avocats à un
avocat ”
Pour lutter pour les droits de l’homme en Syrie au mépris de sa propre liberté,
Aktham Naisse
avocat
syrien , 53 ans,
président des
Comités de Défense des Libertés Démocratiques et des Droits de l'Homme en Syrie
(CDF) , et Vice-Président de la Commission Arabe des Droits de l'Homme.
a reçu
Le Prix
International des Droits de l’Homme
à Bruxelles
le 8 octobre 2004
des mains du
premier
président à la Cour de Cassation,
Monsieur Michel
Lahousse
Dans la salle des audiences
solennelles de la Cour de cassation
Palais de justice
de Bruxelles (Belgique)
Sous les salves d’applaudissements d’un public nombreux et debout,
le premier président Michel Lahousse a chaleureusement félicité Me Aktham
Naisse.
Le bâtonnier du barreau de Bruxelles, Me John Bigwood, dans son
discours, a stigmatisé les privations de liberté dont Me Aktham Naisse a été
l’objet ainsi que les affreuses tortures qu’il a subi pendant ses détention. Il a qualifié de
« cruautés sans nom » les traitements infligés par le pouvoir syrien
à Me Aktham Naisse. Il a exalté le courage de Me Aktham Naisse confronté à un
harcèlement permanent, qui doit comparaître devant une cour de sûreté où les
juges ne sont pas indépendants et obéissent aux ordres du pouvoir. Il a rappelé que Me Aktham Naisse est accusé d’avoir poursuivi sans désemparer un combat en faveur
des droits de l’homme en Syrie. Il est aujourd’hui passible d’une peine allant
de trois ans de prison à la réclusion à perpétuité. Discours de M. le bâtonnier John BIGWOOD Discours de M. le bâtonnier FAVREAU, président de l’IDHAE à l’occasion de la remise du 9ème Prix International des Droits de l’Homme "LUDOVIC-TRARIEUX
» 2004 à Me Aktham NAISSE.
Aktham Naisse et Bertrand Favreau Monsieur, Il y a 20 ans, très exactement, en 1984…Nous
avons créé ce Prix International des Droits de l'Homme pour le décerner à un
Avocat du monde. Certes, il existe bien d'autres récompenses,
beaucoup plus prestigieuses, beaucoup mieux dotées, mais à celle-ci nous avons
voulu donner une signification particulière par sa spécificité. : Honorer
le combat d’un avocat. Pour cela, nous avons offert à d’autres qui
partagent les mêmes valeurs de se joindre à nous pour son attribution. Et, je
veux remercier en cet instant l’Institut des droits de l’Homme du barreau
francophone de Bruxelles, qui a demandé à être le premier à accueillir hors de
France, la cérémonie de remise de ce Prix. Hommage des Avocats à un Avocat, ainsi s'est -
il définit depuis, puisque c’est un jury exclusivement composé d’avocats qui le
décerne*. Car, celui dont il perpétue la mémoire était
un Avocat dans l'âme, au point de consacrer sa vie, son oeuvre et ses
souffrances, au-delà d'une activité professionnelle traditionnelle, à des
causes qui ne lui avaient pas été confiées et à des clients qui ne l'avaient
aucunement saisi. A moins que, il n'y ait dans la mission de
tout Avocat, au-delà d'une activité qu'elle soit de défense ou de conseil,
proprement professionnelle une autre mission plus large, à moins que, la
liberté ne soit toujours une cliente exigeante, il convient de défendre sans
délai et sans répit pour tout Avocat. C'est pourquoi ce prix, Monsieur vous échoit
légitimement cette année. Sans doute auriez-vous mérité de le recevoir
plus tôt. Mais telle elle est la dure contrainte des membres du jury que de
choisir entre tant de souffrances, toutes plus dignes et plus urgentes les unes
que les autres, au prix d'éliminer, dan le même instant, la mort dans l'âme,
avec à chaque instant le risque de se tromper, une autre souffrance dont
l’intensité et l’acuité ne sont pas moindres. Tous ceux qui ont oeuvré à un instant de leur
vie ou de leur carrière pourrait avoir vocation à recevoir ce prix. Mais il
apparaît encore plus mérité pour celui que ce combat a meurtri dans sa liberté
et dans sa chair. Ce qui force l’admiration chez vous, c’est
d’abord la permanence du combat. Mon - presque -
concitoyen, La Boétie, disait trois siècles avant beaucoup d’autres : « La
liberté est naturelle : nous ne sommes donc pas seulement nés avec elle
mais aussi avec la passion de la défendre. » C’est cette passion qui anime l’avocat dès ses
débuts. La défense des droits humains, dans votre
propre cabinet, à Lattaquié, insistant sur la nécessité d’abolir les lois
martiales et l’état d’urgence maintenu en Syrie, depuis 1963, pour instaurer un
état de droit. Habité par une conception exigeante des droits
de la défense, en 1977 vous avez refusé de plaider devant la Cour de Sûreté de
l’Etat, juridiction aux ordres du gouvernement, et où aucune garantie d’équité
ne pouvait être assurée, ignorant encore sans doute alors que la juridiction
ferait, un jour, un accusé de l’avocat qui la boudait. Car l’engagement individuel ne suffit pas et
vous deviez choisir la lutte collective, celle qui conduit à négliger sa
liberté individuelle pour rendre à autrui sa liberté confisquée. Dans les années 50
et au début des années 60, il y avait des partis politiques et des associations
en Syrie. Il existait une société civile qui n'était pas complètement
confisquée ou étouffée. Mais depuis 1963, avec la déclaration de
l'état d'urgence, cette société civile a été anéantie et vous avez jugé qu’il
était urgent de songer progressivement à la reconstruite. Février 1982 : première arrestation, - et premières tortures
- parce que vous ne cessez de réclamer l’instauration d’un état laïque,
respectant les libertés fondamentales, et de rejeter la violence qui se déchaîne
entre le gouvernement et les Frères musulmans. Libéré
fin 1982, victime des séquelles d’une hémiplégie droite et néanmoins soumis à
une étroite surveillance policière, vous reprenez votre activité d’avocat, et
de défenseur des droits humains. Mais avec vos compagnons de lutte, il vous
faut changer de stratégie, éviter l'opposition frontale, utiliser les tracts,
publier des articles au travers du syndicat des avocats. Et là, comme tous les militants de la liberté,
vous concevez qu’il faut aller plus loin : créer un regroupement, un rassemblement
autour des droits de l’homme violés au quotidien, comme d’autre en, d’autres
temps eurent l’idée de créer une Ligue. 1989, c’est l’année d’un bicentenaire…. Le 10 décembre, c’est une belle date pour les
droits de l’homme. Le 10 décembre 1989,
- et la date ne cache ni sa révérence historique, ni sa référence universelle -
vous créez le Lijan al Difaa an al Hurriyat al Dimoqratiya wa Huquq al Insan
fi Suriya (le Comité de Défense des Libertés et des Droits de l'Homme en
Syrie, connu aujourd’hui dans le monde entier dans son pluriel et sous son seul
sigle : les CDF. Vous en êtes élu -
en quelque sorte - président…sous le titre plus évocateur de
« porte-parole » de tous ceux à qui on la refuse. Trêve de querelle
sémantique, vous en êtes l’âme. C’est alors la seule
ONG de défense des droits de l’Homme indépendante en Syrie. Car, il y a bien,
certes, d’autres ONG indépendantes mais elles mènent des activités dans des
domaines moins sensibles politiquement. Pourtant, depuis leur création, les CDF n’ont
rencontré que difficultés pour réaliser leur mission de défense des droits de
l’Homme. Depuis 15 ans, ils
demandent à être reconnus légalement et à pouvoir travailler ouvertement, sans
être soumis à un harcèlement gouvernemental de tous les instants. Mais, ils
n’ont pu travailler que dans la clandestinité ou depuis l’exil, et ses
militants ont du payer un tribut chaque fois plus lourd pour leur engagement. En 1991, dans le prolongement des élections
présidentielles, une déclaration des CDF, détaillant par comparaison dans une
déclaration publique, les conditions d'une élection véritablement démocratique
vaut une arrestation de plus cent membres et sympathisants du mouvement. Le deuxième anniversaire de la création des
CDF interviendra dans la clandestinité. Mais sans doute est-ce déjà trop
tolérer.. Et le 18 décembre 1991, c’est pour vous une
nouvelle arrestation et de nouvelles tortures. Puis, après un procès que toutes les ONG ont dénoncé comme inique,
en 1992, la peine prononcée par la Cour suprême de sûreté de l'État
tombe : neuf années de prison. Vous y resterez 7 années. Une santé gravement atteinte ces longues années de détention, vous
vaudra d’être « généreusement » gracié en mai 1998, puis libéré, en
juillet, mais sans être rétablis dans vos droits, notamment votre liberté de
mouvement et votre droit d’exercer normalement votre profession. Immédiatement après cette sortie de prison,
avec les membres des CDF, vous restructurez l’association. Jusqu’à faire des
CDF le fer de lance d’une campagne en faveur de la levée de l’état d’urgence et
du retour des exilés syriens dans leur pays. En juin 2000, alors que le siècle allait
finir, le « Sphinx », - ainsi appelait-on - le président Hafez al
Assad - est mort. Dans les mois qui ont suivi l’investiture de
son fils Bechar, on a pu croire à une sincère volonté d’ouverture puisque
manifestée d’abord dans son discours d’investiture, en juillet 2000, juillet,
puis par l’adoption de décrets, ordonnant notamment la libération de 600
prisonniers d’opinion en novembre 2000. La politique sécuritaire a connu un certain
relâchement. Des activités politiques et associatives limitées ont été tolérées
et l’on a pu constater un certain frémissement de la société civile avec,
notamment, l’apparition de près de 70 forums de discussion. Un mince rai de
lumière était venu éclairer les combattants voués à la pénombre. Le 15 septembre 2000, les CDF ont connu un
grand moment dans leur histoire. Pour la première fois, ils ont pu tenir leur
congrès, certes à huis clos mais sans être inquiétés par les autorités. Un
nouveau conseil d’administration, ainsi qu’un bureau ont alors été élus. Ainsi, le 10 décembre 2000, à l'occasion du 52ème
anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme et du 11ème
anniversaire de la création des CDF, les CDF ont-ils pu diffuser en Syrie une
déclaration - pour la circonstance non censurés en Syrie - qui a bénéficié d'un
large écho dans les médias, tant arabes qu'internationaux. . Dès février 2001 cependant, la tendance s’est
inversée : la Syrie a assisté à un retour en force de l'ancien régime.
Plus question de l’amnistie générale annoncée en faveur des prisonniers
politiques et d’opinion encore détenus en Syrie - près de 800 personnes, parmi
lesquelles au moins 200 Libanais. Le président Bechar el-Assad a lancé une mise
en garde, le 18 mars 2001, contre toute tentative de critique du régime. "Il
existe des principes en Syrie auxquels personne ne doit porter atteinte, comme
les intérêts du peuple syrien, le parti Baas (au pouvoir), l'unité nationale,
les forces armées et la politique qui a été suivie par le président Hafez
el-Assad. (…) Attaquer ces fondements, c'est porter atteinte aux intérêts
nationaux du peuple et servir les ennemis de la patrie", a-t-il ajouté
en avertissant qu'il "ne permettra à personne de dénigrer notre
histoire ou de lui porter atteinte". Peu après, le jeune Président mettait ses
menaces à exécution en imposant, au mépris des libertés d’association et
d’expression, une série de conditions préalables difficilement réalisables à la
tenue des forums de discussion. Conséquence immédiate : la quasi-totalité
des forums a disparu. La répression s'est accentuée et les grandes
figures de la société civile, comme les députés Maamoun el-Homsi et Riad Seif
ou l'ancien prisonnier politique, notre confrère, Riad al Turk, ont été
re-conduit en prison ou ont été contraints à l’exil. En juin 2002, le Parlement européen a adopté
une résolution dans laquelle il a exprimé sa vive inquiétude à propos de
l'emprisonnement d'intellectuels et de personnalités de l'opposition. Aujourd’hui plusieurs milliers d’exilés
volontaires vivent en dehors de la Syrie. Ils ne peuvent y retourner par
crainte d’être persécutés, arrêtés ou emprisonnés. Certains d’entre eux ont été
condamnés arbitrairement pour leurs opinions tandis que d’autres ont été
arbitrairement privés de leur passeport. Ecoutons l’un
d’entre eux parce qu’il est tout près de nous, ce soir. C’est Maan Alhasbanei,
un artiste syrien réfugié à Bruxelles qui vit dans l’anonymat du quartier
Madou. « Le système
répressif du gouvernement syrien est terrible. Les agents de sécurité du
gouvernement sont partout, le réseau des collaborateurs est tentaculaire :
des étudiants, des taxis, des balayeurs de rue… Les téléphones sont écoutés, la
poste est interceptée, le moyen de communication privilégié est Internet, on
communique par e-mails. Et en fait, le site web des CDF a été fermé au moins
une dizaine de fois dans les derniers mois. La police intervient
indistinctement pour interroger, molester les familles des dissidents, les
amis, les voisins de palier. Les gens ont peur parce qu’ils savent ce qui les
attend s’ils protestent » Ce qui attendait les CDF ? Le 27 août
2003, le service de la sécurité militaire à Damas, vous ont convoqué, insultant
et menaçant, vous a signifié que toute activité des CDF était interdite jusqu’à
nouvel ordre. Mais les CDF n’ont pas désarmé. Au contraire,
ils ont redoublé d’efforts. Et plus que jamais, ils constituent l'un des
principaux pôles d'attraction des activités de la société civile naissante dans
le domaine des droits de l'Homme et de la démocratie. Fin janvier 2004, est publiée sur Internet une
pétition intitulée « La fin de l’état d’urgence en Syrie «. 7000 intellectuels
l’ont signé. Les CDF publient leur rapport annuel : il
dénonçait les graves violations des droits de l'homme commises en Syrie
notamment à l'encontre des populations kurdes. Par ailleurs, le CDF
persistaient à demander la levée de l'état d'urgence en vigueur en Syrie depuis
41 ans et faisait part de ses préoccupations concernant le sort des nombreux
Libanais qui ont disparu en Syrie. Amnesty confirme : Un très grand nombre
de Libanais et de personnes d'autres nationalités ont en effet «disparu» après
avoir été arrêtés ou enlevés par les autorités syriennes, ou livrés par des
groupes armés ; pour beaucoup, cela s'est passé au cours de la guerre civile
libanaise (1975-1990) ou pendant le conflit qui a opposé la Syrie à
l'Organisation de libération de la Palestine dans les années 1980. Une campagne nationale est annoncée pour
réclamer des réformes démocratiques, le respect des droits humains et la levée
de l'état d'urgence en vigueur en Syrie depuis 41 ans. Le 8 mars, date du 41ème anniversaire
de la prise du pouvoir par le parti BAAS, vous prenez la tête d’une
manifestation devant le Parlement après avoir proclamé haut et fort que l’état
d’urgence « a amené la paralysie de la société, et provoqué
l’emprisonnement de milliers de citoyens pour des motifs politiques » La manifestation, avait été annoncé cette
et les manœuvres d’intimidation et pressions des autorités n’ont pas manqué
pour vous y faire renoncer. Elle a eu lieu, pourtant. Et, ce fut la
première de ce type en Syrie depuis quarante ans, pour réclamer l’instauration
d’un état de droit. Brutalement dispersée par la police vous-même
et nombre de manifestants arrêtés puis libérés le soir même. Pétition, Rapport, manifestation… Sans doute
était-ce trop. La moindre des choses pour la démocratie et les libertés, mais
trop pour ses adversaires. Le mardi 13 avril vous avez été à nouveau convoqué par le département
de la sécurité militaire dans la ville de Lattaquié. Cette fois ci il ne s’agit plus
d’intimidation des forces de sécurité. Désormais les notifications et
interrogatoires récurrents depuis 1998, les menaces contre votre famille et, en
particulier votre mère agressée et battue, en 2003, ne constituent p^lus un harcèlement
suffisant. Ce jour-là vous avez été arrêté, emprisonné, et mis au secret. Et, ce
sont bien les CDF que ‘on veut anéantir : Deux de vos proches au sein des
CDF, Ahmad Khazar et Hassan Wafti ont été arrêtés les 15 et 16 mars par les
services de la sécurité militaire à Damas pour avoir participé au rassemblement
devant le Parlement. Ils ont été condamnés à 55 jours de prison. Pour vous le régime est plus draconien et dans les deux jours suivant
votre arrestation, dans la prison de Sednaya, vous serez victime d'une attaque
cérébrale. Lorsque, pour la première fois, le 22 avril, vous serez amené très
affaibli, devant la Cour suprême de Sécurité de l'Etat un « juge »,
ce sont deux membres des forces de sécurité qui devront vous y porter, selon
les témoins. Accusé de « s’être opposé aux objectifs de la
révolution », de « diffusion de fausses informations dans le but d’affaiblir
l’Etat » et « d’association à des organisations internationales », vous
encouriez la prison à vie. Cependant, en raison d’une « généreuse »
amnistie accordée par le Président syrien, le 15 juillet 2004, la Cour a
abandonné la dernière charge, bienveillance qui voudrait que vous ne risquiez
plus que 15 ans de travaux forcés. Malgré cela, le lendemain du jour ou vous ave
été libéré sous caution par la Cour de sûreté, le 17 août dernier, vous avez
déclaré : que vous continueriez à vous battre pour les droits de l’homme
bien que trop certains déjà d’être déclaré coupable et de devoir retourner en
prison. » Je continuerai et personne n’a demandé que j’arrête ?
Ils sont parfaitement au courant que je n’arrêterai jamais. » Ainsi, c’est le
sacrifice de votre liberté personnelle auquel vous avez consenti. Acceptez que
l’on reste confondu par tant de courage et de détermination. Nous sommes des
hommes d’affaires, vous êtes un homme tout court. C’est à cette humanité que nous rendons
hommage avec humilité. Et vous voici, de nouveau confronté à une
justice inéquitable. Ainsi se dessine une autre permanence : Ce fut vrai en 1991, c’est encore vrai
aujourd’hui. Nous connaissons ces parodies judiciaires.
certes, il y à des lois, des cours, des juges. Tout a été dit sur ces lois. Depuis le milieu
du XVIIIème siècle, Adam Ferguson, le premier - et sans doute le seul -
théoricien de la société civile, nous l’avait enseigné : « Si
les règles écrites, les formes de procédures et tout ce qui fait la loi cessent
de tirer leur force de l’esprit même qui les a inspirés, alors ils ne servent
plus à réprimer, mais seulement à couvrir les iniquités du pouvoir » Tous les états, ont aujourd’hui
orgueilleusement organisé un système judiciaire, une magistrature :dont
l’apparence et l’apparat sont calqués jusqu’à la caricature sur celui des
vieilles démocraties. Mais les procès se déroulant devant la Cour
suprême de sûreté de l'Etat n’en demeurent pas moins inéquitables. Tout a été dit déjà sur le fonctionnement de
ces juridictions spéciales qui ne dépendent même pas de l'Ordre Judiciaire, fut
- il lui-même indépendant. Les accusés ne sont pas autorisés à consulter
librement un avocat, un des trois juges est un officier militaire, le président
de la Cour dispose de pouvoirs discrétionnaires ; les aveux arrachés sous la
contrainte ou la torture peuvent être retenus à titre de preuve ; les verdicts rendus
ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et enfin, la Cour n'est pas tenue de
respecter le Code de procédure pénale., les procédures criminelles habituelles
ne s’appliquant pas à la Cour puisque cette dernière n’agit pas sous les ordres
d’un tribunal supérieur de justice mais sous ceux du Bureau de la sécurité
nationale du parti Baath qui est actuellement au pouvoir. Cessons là cette énumération. Un seul mot suffit : les juges n’y sont
pas indépendants. Or, de même qu’il n’y a pas d’état de droit sans
juges et avocats indépendants, de même l’indépendance des premiers est
l’interface ou la garante de celles des seconds. Dans une société démocratique,
il ne saurait y avoir de magistrats véritablement indépendants si le barreau ne
l’est pas. Mais un barreau ne peut l’être et le demeurer qu’avec des juges
suffisamment indépendants pour sanctionner les violations éventuelles de cette
indépendance. Ainsi, en tous lieux et en tous temps, le degré constaté
d’indépendance des juges et des avocats restera-t-il l’un des meilleurs
critères du respect de la démocratie et de l’Etat de droit. Sans doute, la
totale indépendance judiciaire reste-t-elle un idéal à atteindre. Dans un
jugement récent, en date du 17 octobre 2002, un juge de la
Haute Cour de l’Afrique du Sud a déclaré que, dans une société
démocratique, l’appareil judiciaire dans son ensemble ne doit pas seulement se
dire ou se vouloir indépendant, il doit prouver à l’évidence qu’il l’est
véritablement. Et il a ajouté : « L’indépendance et l’impartialité des
magistrats, sont au cœur même de la légalité, essentielles pour le bon
fonctionnement de la justice. » N’est ce pas assez dire assez dire que
l’indépendance des juges ne saurait être qu’un leurre dans une société qui
ignore la démocratie ? Après nous avoir quittés, le 24 octobre
prochain, ou un autre jour d'ailleurs, vous devez comparaître devant une de ces
juridictions dont vous avez déjà connu les affres. C'est un message d'espoir que je voudrais
lancer ici. Cette juridiction vous a déjà libéré sous
caution, il y a un peu moins de deux mois. Sans aucune concession, sans aucun angélisme,
et tout en prononçant une condamnation aussi ferme contre tout ce qui n'est pas
une justice totalement indépendante, acceptons un instant ici l'espérance
qu'elle a fait naître. Héraclite d’Ephèse disait : « Sans
l’espérance, il n’est pas possible de trouver l’inespéré ». Est-il déraisonnable, ce soir, d’espérer
encore l’inespéré ? ESPERONS, Que vos juges veuillent bien admettre qu'un
homme qui combat la loi injuste ne combat pas le droit ni l'état de droit au
contraire, il oeuvre pour l'instaurer... Qu’ayant estimé un jour, il y a peu, que la
détention arbitraire d'un homme ne se justifiait plus lui donne à penser que
cette détention jamais plus ne sera nécessaire... Qu’ils veuillent se souvenir qu'il n'est
qu'une loi, ici bas, la Loi universelle, celle à laquelle toutes les autres
doivent se soumettre, et de façon plus contingente, qu'elle applique dans
l'ordre judiciaire, les engagements internationaux que cet Etat a librement
signés et que le reste du Monde attend qu'il respecte. ESPERONS, Que la soumission aux ordres cède à la
conscience du Juge indépendant et impartial. Là ils auront rempli leur oeuvre de Cour, et
leur mission de sûreté. L'unité et la sécurité du pays en sortiront
renforcées. De même que la
liberté se respire, l'indépendance se conquiert, se proclame, se défend. Elle
ne se décrète pas. C'est d'abord un état d'esprit. Bien avant Paul
Valéry, David Thoreau - le chantre de la désobéissance civile - ( que vous
pouvez aussi appeler Henry puisqu’il a lui-même interverti ses prénoms au cours
son existence) proclamait : « Je ne suis pas né pour être
contraint. Je veux respirer comme je l’entends » Mais c’est vous que je veux citer pour la fin.
Le peuple syrien a hérité de plusieurs civilisations. Les recherches
archéologiques opérées dans le pays qui a embrassé les 3 religions
monothéistes : musulmane, chrétienne et juive, ont permis aussi une
découverte - c’est vous qui l’avez écrit - le plus ancien mot intelligible
désignant la liberté : AMARJI . Et cela, en 2500 ans avant JC. En 1993 écrivant au
Forum des ONG de Vienne depuis votre prison, vous aviez voulu terminer en
faisant votre ce mot du poète de la Révolution française : « Liberté,
mère de toutes les vertus, soit mon dernier refuge » AMARJI donc ! ESPERONS… Permettez-nous - à l’instant de vous
remettre ce prix - d’espérer pour vous qu’elle sera un havre prochain, un havre
de vie, pour vous et le peuple syrien tout entier. Bertrand
FAVREAU Bruxelles 8 octobre
2004 Les 21 avocats européens, membres
du Jury du 9ème Prix International des
Droits de l’Homme
"LUDOVIC-TRARIEUX » réunis à la Maison du Barreau de Paris, Place
Dauphine, le Lundi 26 avril 2004 ont décerné le 9ème Prix « Ludovic-Trarieux » , créé en 1984 (dont le premier Lauréat a été Nelson
Mandela alors emprisonné) et décerné tous les ans à un Avocat, sans condition
de nationalité ou d'appartenance à un Barreau, qui aura illustré par sa vie,
son œuvre ou ses souffrances, la défense des Droits de l'Homme, des Droits de
la Défense, la suprématie de l'état de droit, la lutte contre les racismes et
l'intolérance sous toutes leurs formes à Akhtam Naisse, avocat syrien , 53 ans, président des
Comités de Défense des Libertés Démocratiques et des Droits de l'Homme en Syrie(CDF)
, et Vice-Président de la Commission Arabe des Droits de l'Homme. En tant
que militant des droits de l’homme en Syrie, Akhtam Naisse a été arrêté et emprisonné plusieurs fois depuis 1991. Plus récemment, il a été à
nouveau arête le 13 avril 2004 par les services de la sécurité
militaire au moment même où les CDF publiaient leur rapport annuel
dénonçant les violations flagrantes des droits de l'Homme en Syrie. Il
est depuis lors maintenu en détention dans un hôpital militaire et sa santé
s´est sérieusement détériorée. Il est aujourd’hui partiellement paralysé.
Sa famille n´est toujours pas capable de lui transmettre ses médicaments
nécessaires (trouble cardiaque et insuffisance rénale). * LISTE ALPHABETIQUE DES
MEMBRES DU JURY : Me Brigitte AZEMA-PEYRET, (Commission juridique Amnesty
International) , Ms Julia BATEMAN,
vice-président de l'IDHAE (IDHAE),
Me John BIGWOOD, Bâtonnier désigné
de l'Ordre Barreau de Bruxelles (Bruxelles), Me Raymond BLET, IDHBB,
(Bordeaux), Me Thierry BONTINCK
Trésorier de l’Union des Avocats Européens (UAE) (Bruxelles), Monsieur Bernard CONDAT, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du barreau
de Bordeaux, M. le bâtonnier Jean
CRUYPLANTS, Bâtonnier de l'Ordre Barreau de Bruxelles, Me Nicole DEHRY, (Commission juridique
Amnesty International) , M. le bâtonnier Bertrand FAVREAU, Président de IDHAE,
M. le bâtonnier Georges FLECHEUX, Président de l'IDHBP (Paris), Me Philippe FROIN, Vice-président de
l'IDHBB, (Bordeaux), Me Marie
France-GUET .(Paris), Me Wojciech
HERMELINSKI, President of Polish Bar Human Rights Institute, Me Isabelle HUET,
IDHBP (Paris), Me Pierre LAMBERT,
Président de l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Bruxelles
(Bruxelles), Me Joe LEMMER, Secrétaire
général de l’Union des Avocats Européens (UAE), Me Christophe PETTITI,
Secrétaire général de l'Institut
des Droits de l'Homme du Barreau de Paris (IDHAE), Me Laurent PETTITI,
secrétaire du Conseil de l'Ordre des Avocats du barreau de Paris, Me Michel
PUECHAVY, IDHBP.(Paris), Me Jean Pierre
SPITZER, Directeur scientifique de l’Union des Avocats Européens (UAE) , Me
Hélène SZUBERLA, Vice-président
honoraire de l'IDHBB, (Bordeaux). Biographie : INSTITUT DES DROITS DE L'HOMME DES AVOCATS EUROPEENS ( IDHAE) , INSTITUT DES DROITS DE L'HOMME DU BARREAU DE BORDEAUX, INSTITUT DES DROITS DE L'HOMME DU BARREAU DE PARIS, INSTITUT DES DROITS DE L'HOMME DU BARREAU DE BRUXELLES
Le bâtonnier John BIGWOOD, Bâtonnier de l'Ordre français Barreau de Bruxelles, le bâtonnier Georges FLECHEUX, Président de l'Institut de formation en Droits de l'Homme du Barreau de Paris, Me Christophe PETTITI, Secrétaire général de l'Institut
des Droits de l'Homme des Avocats Européens (IDHAE).
La remise du Prix
Le Premier président Lahousse
Discours de M. A. Naisse
Photographies : Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35
Dans
son discours de remerciements, Me Naisse a indiqué qu’il ne cesserait pas son combat
pour les libertés en Syrie, dont le nom « Surya »signifie
« soleil » alors qu’il est
enfermé depuis 1963 par l’état d’urgence
dans un régime de ténèbres.
Aktham Naisse a comparu le 22 avril 2004 devant la Haute Cour de Sécurité
de l´État en Syrie. Il serait accusé d’atteinte aux objectifs de la Révolution
(l’unité arabe, la liberté et la socialisme) et de diffusion de fausse
information (atteinte à l’image de la Syrie). Devant la Haute Cour de Sécurité
de l´État, selon les lois martiales syriennes, il encourt une condamnation á 15
ans de prison.
Akhtam Naisse, a vécu à Damas jusqu’à l’âge de 16 ans. Ses études l’ont
conduit au Yémen, en Union Soviétique (qu’il a quittée en protestant contre les
privations de liberté qu’il constatait), en Irak, puis au Caire où il a achevé
ses études de droit en 1976.
Avocat, à Lattaquie, sa ville natale, il se fait rapidement remarquer pour
l’intérêt qu’il portait à la défense des droits humains, insistant sur la
nécessité d’abolir les lois martiales et l’état d’urgence pour instaurer un état
de droit. En 1977 il refuse de plaider devant la Haute Cour de Sûreté de
l’Etat, juridiction aux ordres du gouvernement, et où aucune garantie d’équité
ne pouvait être assurée. En Février 1982 ses positions lui valent une première
arrestation, il ne cesse en effet de réclamer l’instauration d’un état laïque,
respectant les libertés fondamentales, et de rejeter la violence qui se
déchaîne entre le gouvernement et les Frères musulmans. Il sera affreusement
torturé. Libéré fin 1982, il restera pendant plus d’un an victime des séquelles
d’une hémiplégie droite. Aussitôt que sa santé le lui permet il reprend son
activité d’avocat et de défenseur des droits humains, mais sous une étroite
surveillance policière. Il a publié une étude sur « Les lois et les régimes
d’urgence, et leurs répercutions sur les libertés fondamentales et les Droits
de l’Homme en Syrie ».(1990).
Le 10 Décembre 1989, il est élu comme porte parole des CDF. Arrêté pour la
deuxième fois le 18 Décembre 1991, il sera à nouveau victime de tortures, et
après un procès inique, condamné à 9 ans de prison et privé de ses droits
civils par un tribunal d'urgence avec cinq autres membres des CDF.
Emprisonné à la prison de Sednaya, sa santé s’est gravement dégradée mais il ne
sera gracié qu’en mai 1998, et libéré le 3 juillet 1998. .Après sa libération,
il continue ses protestations, en vue d’obtenir la levée de l’état d’urgence
maintenu en Syrie depuis 1963. Il subit un harcèlement incessant destiné à
éloigner sa clientèle et qui veut empécher la poursuite de son activité
d’avocat.
Le 27 août 2003, il a été convoqué par le service de la sécurité militaire à
Damas. Il lui a été signifié que toute activité des CDF était interdite jusqu’à
nouvel ordre. Au cours de l'entretien, il a en outre été insulté et menacé par
les officiers présents. Les CDF avaient peu de temps auparavant réitéré leur
demande aux autorités, de permettre le retour des exilés Syriens dans leur
pays.
A la suite d’une pétition intitulé « La fin de l’état d’urgence en Syrie »
(publiée sur Internet fin janvier 2004), Aktham Naisse a été convoqué, le 11
février 2004, au centre des services militaires secrets, division « al-Mintaqa
» à Damas, où il a été détenu et interrogé par deux officiers des services
secrets jusqu’à après minuit. Selon les officiers , le nombre des signataires,
qui dépasse 3500, démontrait que les CDF avaient des contacts internationaux
illégaux. Leurs accusations étaient bâtires sur des conversations interceptées
sur la ligne téléphonique d’Aktham Naisse, mise sous surveillance par les
autorités Syriennes.
Pendant la détention, les officiers harcelé et menacé de l’empêcher de quitter
la Syrie alors qu’il devait partir deux jours plus tard, et s’il parait, de lui
interdire d’y rentrer. Ils ont même insinué que d’autres choses ou accidents «
pourraient arriver ». Il a été relâché dans l’après midi du 12 février.
Le 8 Mars 2004, - date anniversaire de la prise du pouvoir par le parti Baas-
Akhtam Naisse, après avoir résisté aux manœuvres d’intimidation et pressions
des autorités, prenait la tête d’une manifestation pacifique organisée par les
CDF devant le Parlement - première manifestation de ce type en Syrie depuis
quarante ans - contre l’état d’urgence et pour l’instauration d’un état de
droit. La manifestation fut brutalement dispersée par la police et Akhtam
Naisse et nombre de manifestants arrêtés puis libérés le soir.