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Le Prix Ludovic-Trarieux


Prix International des Droits de l'Homme Ludovic-Trarieux 2004

“L’hommage des avocats à un avocat ”

 

 

 

Pour lutter pour les droits de l’homme en Syrie au mépris de sa propre liberté,


Aktham Naisse


avocat syrien , 53 ans,

président des Comités de Défense des Libertés Démocratiques et des Droits de l'Homme en Syrie (CDF) , et Vice-Président de la Commission Arabe des Droits de l'Homme.

a reçu

Le Prix International des Droits de l’Homme

“Ludovic Trarieux” 2004

 

à Bruxelles le 8 octobre 2004

des mains du

premier président à la Cour de Cassation,

Monsieur Michel Lahousse

 

Dans la salle des audiences solennelles de la Cour de cassation

Palais de justice

de Bruxelles (Belgique)

 

Le bâtonnier John BIGWOOD, Bâtonnier de l'Ordre français Barreau de Bruxelles, le bâtonnier Georges FLECHEUX, Président de l'Institut de formation en Droits de l'Homme du Barreau de Paris, Me Christophe PETTITI, Secrétaire général de l'Institut
des Droits de l'Homme des Avocats Européens  (IDHAE).Photo Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35
Le bâtonnier John BIGWOOD, Bâtonnier de l'Ordre français Barreau de Bruxelles, le bâtonnier Georges FLECHEUX, Président de l'Institut de formation en Droits de l'Homme du Barreau de Paris, Me Christophe PETTITI, Secrétaire général de l'Institut des Droits de l'Homme des Avocats Européens (IDHAE).

Sous les salves d’applaudissements d’un public nombreux et debout, le premier président Michel Lahousse a chaleureusement félicité Me Aktham Naisse.


Photographies : Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35

  Photo Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35

Photo Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35

Photo Jean-René TANCREDE - Tel : 01 42 60 36 35

La remise du Prix

Le Premier président Lahousse

Discours de M. A. Naisse

Le bâtonnier du barreau de Bruxelles, Me John Bigwood, dans son discours, a stigmatisé les privations de liberté dont Me Aktham Naisse a été l’objet ainsi que les affreuses tortures qu’il a subi pendant ses détention. Il a qualifié de «  cruautés sans nom » les traitements infligés par le pouvoir syrien à Me Aktham Naisse.

Il a exalté le courage de Me Aktham Naisse confronté à un harcèlement permanent, qui doit comparaître devant une cour de sûreté où les juges ne sont pas indépendants et obéissent aux ordres du pouvoir.

Il a rappelé que Me Aktham Naisse est accusé d’avoir poursuivi sans désemparer un combat en faveur des droits de l’homme en Syrie. Il est aujourd’hui passible d’une peine allant de trois ans de prison à la réclusion à perpétuité.


Dans son discours de remerciements, Me Naisse a indiqué qu’il ne cesserait pas son combat pour les libertés en Syrie, dont le nom « Surya »signifie « soleil » alors qu’il est enfermé depuis 1963 par l’état d’urgence dans un régime de ténèbres.

 


Discours de M. le bâtonnier John BIGWOOD


Discours de M. le bâtonnier FAVREAU,

président de l’IDHAE à l’occasion de la remise

du 9ème Prix International des Droits de l’Homme

"LUDOVIC-TRARIEUX » 2004

à

Me Aktham NAISSE.

 

Aktham Naisse et Bertrand Favreau - Photo IDHAE

Aktham Naisse et Bertrand Favreau

Monsieur,

 

Il y a 20 ans, très exactement, en 1984…Nous avons créé ce Prix International des Droits de l'Homme pour le décerner à un Avocat du monde.

 

Certes, il existe bien d'autres récompenses, beaucoup plus prestigieuses, beaucoup mieux dotées, mais à celle-ci nous avons voulu donner une signification particulière par sa spécificité. : Honorer le combat d’un avocat.

 

Pour cela, nous avons offert à d’autres qui partagent les mêmes valeurs de se joindre à nous pour son attribution. Et, je veux remercier en cet instant l’Institut des droits de l’Homme du barreau francophone de Bruxelles, qui a demandé à être le premier à accueillir hors de France, la cérémonie de remise de ce Prix.

 

Hommage des Avocats à un Avocat, ainsi s'est - il définit depuis, puisque c’est un jury exclusivement composé d’avocats qui le décerne*.

 

Car, celui dont il perpétue la mémoire était un Avocat dans l'âme, au point de consacrer sa vie, son oeuvre et ses souffrances, au-delà d'une activité professionnelle traditionnelle, à des causes qui ne lui avaient pas été confiées et à des clients qui ne l'avaient aucunement saisi.

 

A moins que, il n'y ait dans la mission de tout Avocat, au-delà d'une activité qu'elle soit de défense ou de conseil, proprement professionnelle une autre mission plus large, à moins que, la liberté ne soit toujours une cliente exigeante, il convient de défendre sans délai et sans répit pour tout Avocat.

 

C'est pourquoi ce prix, Monsieur vous échoit légitimement cette année.

 

Sans doute auriez-vous mérité de le recevoir plus tôt. Mais telle elle est la dure contrainte des membres du jury que de choisir entre tant de souffrances, toutes plus dignes et plus urgentes les unes que les autres, au prix d'éliminer, dan le même instant, la mort dans l'âme, avec à chaque instant le risque de se tromper, une autre souffrance dont l’intensité et l’acuité ne sont pas moindres.

 

Tous ceux qui ont oeuvré à un instant de leur vie ou de leur carrière pourrait avoir vocation à recevoir ce prix. Mais il apparaît encore plus mérité pour celui que ce combat a meurtri dans sa liberté et dans sa chair.

 

Ce qui force l’admiration chez vous, c’est d’abord la permanence du combat.

 

Mon - presque - concitoyen, La Boétie, disait trois siècles avant beaucoup d’autres : « La liberté est naturelle : nous ne sommes donc pas seulement nés avec elle mais aussi avec la passion de la défendre. »

 

C’est cette passion qui anime l’avocat dès ses débuts.

 

La défense des droits humains, dans votre propre cabinet, à Lattaquié, insistant sur la nécessité d’abolir les lois martiales et l’état d’urgence maintenu en Syrie, depuis 1963, pour instaurer un état de droit.

 

Habité par une conception exigeante des droits de la défense, en 1977 vous avez refusé de plaider devant la Cour de Sûreté de l’Etat, juridiction aux ordres du gouvernement, et où aucune garantie d’équité ne pouvait être assurée, ignorant encore sans doute alors que la juridiction ferait, un jour, un accusé de l’avocat qui la boudait.

 

Car l’engagement individuel ne suffit pas et vous deviez choisir la lutte collective, celle qui conduit à négliger sa liberté individuelle pour rendre à autrui sa liberté confisquée.

 

Dans les années 50 et au début des années 60, il y avait des partis politiques et des associations en Syrie. Il existait une société civile qui n'était pas complètement confisquée ou étouffée.

 

Mais depuis 1963, avec la déclaration de l'état d'urgence, cette société civile a été anéantie et vous avez jugé qu’il était urgent de songer progressivement à la reconstruite.

 

Février 1982 : première arrestation, - et premières tortures - parce que vous ne cessez de réclamer l’instauration d’un état laïque, respectant les libertés fondamentales, et de rejeter la violence qui se déchaîne entre le gouvernement et les Frères musulmans.

Libéré fin 1982, victime des séquelles d’une hémiplégie droite et néanmoins soumis à une étroite surveillance policière, vous reprenez votre activité d’avocat, et de défenseur des droits humains. Mais avec vos compagnons de lutte, il vous faut changer de stratégie, éviter l'opposition frontale, utiliser les tracts, publier des articles au travers du syndicat des avocats.

 

Et là, comme tous les militants de la liberté, vous concevez qu’il faut aller plus loin : créer un regroupement, un rassemblement autour des droits de l’homme violés au quotidien, comme d’autre en, d’autres temps eurent l’idée de créer une Ligue.

 

1989, c’est l’année d’un bicentenaire….

Le 10 décembre, c’est une belle date pour les droits de l’homme.

 

Le 10 décembre 1989, - et la date ne cache ni sa révérence historique, ni sa référence universelle - vous créez le Lijan al Difaa an al Hurriyat al Dimoqratiya wa Huquq al Insan fi Suriya (le Comité de Défense des Libertés et des Droits de l'Homme en Syrie, connu aujourd’hui dans le monde entier dans son pluriel et sous son seul sigle : les CDF.

 

Vous en êtes élu - en quelque sorte - président…sous le titre plus évocateur de « porte-parole » de tous ceux à qui on la refuse. Trêve de querelle sémantique, vous en êtes l’âme.

 

C’est alors la seule ONG de défense des droits de l’Homme indépendante en Syrie. Car, il y a bien, certes, d’autres ONG indépendantes mais elles mènent des activités dans des domaines moins sensibles politiquement.

 

Pourtant, depuis leur création, les CDF n’ont rencontré que difficultés pour réaliser leur mission de défense des droits de l’Homme.

 

Depuis 15 ans, ils demandent à être reconnus légalement et à pouvoir travailler ouvertement, sans être soumis à un harcèlement gouvernemental de tous les instants. Mais, ils n’ont pu travailler que dans la clandestinité ou depuis l’exil, et ses militants ont du payer un tribut chaque fois plus lourd pour leur engagement.

 

En 1991, dans le prolongement des élections présidentielles, une déclaration des CDF, détaillant par comparaison dans une déclaration publique, les conditions d'une élection véritablement démocratique vaut une arrestation de plus cent membres et sympathisants du mouvement.

 

Le deuxième anniversaire de la création des CDF interviendra dans la clandestinité. Mais sans doute est-ce déjà trop tolérer..

 

Et le 18 décembre 1991, c’est pour vous une nouvelle arrestation et de nouvelles tortures.

 

Puis, après un procès que toutes les ONG ont dénoncé comme inique, en 1992, la peine prononcée par la Cour suprême de sûreté de l'État tombe : neuf années de prison. Vous y resterez 7 années.

 

Une santé gravement atteinte ces longues années de détention, vous vaudra d’être « généreusement » gracié en mai 1998, puis libéré, en juillet, mais sans être rétablis dans vos droits, notamment votre liberté de mouvement et votre droit d’exercer normalement votre profession.

 

Immédiatement après cette sortie de prison, avec les membres des CDF, vous restructurez l’association. Jusqu’à faire des CDF le fer de lance d’une campagne en faveur de la levée de l’état d’urgence et du retour des exilés syriens dans leur pays.

 

En juin 2000, alors que le siècle allait finir, le « Sphinx », - ainsi appelait-on - le président Hafez al Assad - est mort.

 

Dans les mois qui ont suivi l’investiture de son fils Bechar, on a pu croire à une sincère volonté d’ouverture puisque manifestée d’abord dans son discours d’investiture, en juillet 2000, juillet, puis par l’adoption de décrets, ordonnant notamment la libération de 600 prisonniers d’opinion en novembre 2000.

 

La politique sécuritaire a connu un certain relâchement. Des activités politiques et associatives limitées ont été tolérées et l’on a pu constater un certain frémissement de la société civile avec, notamment, l’apparition de près de 70 forums de discussion.

 

Un mince rai de lumière était venu éclairer les combattants voués à la pénombre. Le 15 septembre 2000, les CDF ont connu un grand moment dans leur histoire. Pour la première fois, ils ont pu tenir leur congrès, certes à huis clos mais sans être inquiétés par les autorités. Un nouveau conseil d’administration, ainsi qu’un bureau ont alors été élus.

 

Ainsi, le 10 décembre 2000, à l'occasion du 52ème anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme et du 11ème anniversaire de la création des CDF, les CDF ont-ils pu diffuser en Syrie une déclaration - pour la circonstance non censurés en Syrie - qui a bénéficié d'un large écho dans les médias, tant arabes qu'internationaux. .

 

Dès février 2001 cependant, la tendance s’est inversée : la Syrie a assisté à un retour en force de l'ancien régime. Plus question de l’amnistie générale annoncée en faveur des prisonniers politiques et d’opinion encore détenus en Syrie - près de 800 personnes, parmi lesquelles au moins 200 Libanais.

 

Le président Bechar el-Assad a lancé une mise en garde, le 18 mars 2001, contre toute tentative de critique du régime. "Il existe des principes en Syrie auxquels personne ne doit porter atteinte, comme les intérêts du peuple syrien, le parti Baas (au pouvoir), l'unité nationale, les forces armées et la politique qui a été suivie par le président Hafez el-Assad. (…) Attaquer ces fondements, c'est porter atteinte aux intérêts nationaux du peuple et servir les ennemis de la patrie", a-t-il ajouté en avertissant qu'il "ne permettra à personne de dénigrer notre histoire ou de lui porter atteinte".

 

Peu après, le jeune Président mettait ses menaces à exécution en imposant, au mépris des libertés d’association et d’expression, une série de conditions préalables difficilement réalisables à la tenue des forums de discussion. Conséquence immédiate : la quasi-totalité des forums a disparu.

 

La répression s'est accentuée et les grandes figures de la société civile, comme les députés Maamoun el-Homsi et Riad Seif ou l'ancien prisonnier politique, notre confrère, Riad al Turk, ont été re-conduit en prison ou ont été contraints à l’exil.

 

En juin 2002, le Parlement européen a adopté une résolution dans laquelle il a exprimé sa vive inquiétude à propos de l'emprisonnement d'intellectuels et de personnalités de l'opposition.

 

Aujourd’hui plusieurs milliers d’exilés volontaires vivent en dehors de la Syrie. Ils ne peuvent y retourner par crainte d’être persécutés, arrêtés ou emprisonnés. Certains d’entre eux ont été condamnés arbitrairement pour leurs opinions tandis que d’autres ont été arbitrairement privés de leur passeport.

 

Ecoutons l’un d’entre eux parce qu’il est tout près de nous, ce soir. C’est Maan Alhasbanei, un artiste syrien réfugié à Bruxelles qui vit dans l’anonymat du quartier Madou.

 

« Le système répressif du gouvernement syrien est terrible. Les agents de sécurité du gouvernement sont partout, le réseau des collaborateurs est tentaculaire : des étudiants, des taxis, des balayeurs de rue… Les téléphones sont écoutés, la poste est interceptée, le moyen de communication privilégié est Internet, on communique par e-mails. Et en fait, le site web des CDF a été fermé au moins une dizaine de fois dans les derniers mois. La police intervient indistinctement pour interroger, molester les familles des dissidents, les amis, les voisins de palier. Les gens ont peur parce qu’ils savent ce qui les attend s’ils protestent » 

 

Ce qui attendait les CDF ? Le 27 août 2003, le service de la sécurité militaire à Damas, vous ont convoqué, insultant et menaçant, vous a signifié que toute activité des CDF était interdite jusqu’à nouvel ordre.

 

Mais les CDF n’ont pas désarmé. Au contraire, ils ont redoublé d’efforts. Et plus que jamais, ils constituent l'un des principaux pôles d'attraction des activités de la société civile naissante dans le domaine des droits de l'Homme et de la démocratie.

 

Fin janvier 2004, est publiée sur Internet une pétition intitulée « La fin de l’état d’urgence en Syrie «. 7000 intellectuels l’ont signé.

 

Les CDF publient leur rapport annuel : il dénonçait les graves violations des droits de l'homme commises en Syrie notamment à l'encontre des populations kurdes. Par ailleurs, le CDF persistaient à demander la levée de l'état d'urgence en vigueur en Syrie depuis 41 ans et faisait part de ses préoccupations concernant le sort des nombreux Libanais qui ont disparu en Syrie.

 

Amnesty confirme : Un très grand nombre de Libanais et de personnes d'autres nationalités ont en effet «disparu» après avoir été arrêtés ou enlevés par les autorités syriennes, ou livrés par des groupes armés ; pour beaucoup, cela s'est passé au cours de la guerre civile libanaise (1975-1990) ou pendant le conflit qui a opposé la Syrie à l'Organisation de libération de la Palestine dans les années 1980.

 

Une campagne nationale est annoncée pour réclamer des réformes démocratiques, le respect des droits humains et la levée de l'état d'urgence en vigueur en Syrie depuis 41 ans.

Le 8 mars, date du 41ème anniversaire de la prise du pouvoir par le parti BAAS, vous prenez la tête d’une manifestation devant le Parlement après avoir proclamé haut et fort que l’état d’urgence « a amené la paralysie de la société, et provoqué l’emprisonnement de milliers de citoyens pour des motifs politiques »

 

La manifestation, avait été annoncé cette et les manœuvres d’intimidation et pressions des autorités n’ont pas manqué pour vous y faire renoncer.

 

Elle a eu lieu, pourtant. Et, ce fut la première de ce type en Syrie depuis quarante ans, pour réclamer l’instauration d’un état de droit.

 

Brutalement dispersée par la police vous-même et nombre de manifestants arrêtés puis libérés le soir même.

 

Pétition, Rapport, manifestation… Sans doute était-ce trop. La moindre des choses pour la démocratie et les libertés, mais trop pour ses adversaires.

 

Le mardi 13 avril vous avez été à nouveau convoqué par le département de la sécurité militaire dans la ville de Lattaquié.

 

Cette fois ci il ne s’agit plus d’intimidation des forces de sécurité. Désormais les notifications et interrogatoires récurrents depuis 1998, les menaces contre votre famille et, en particulier votre mère agressée et battue, en 2003, ne constituent p^lus un harcèlement suffisant.

 

Ce jour-là vous avez été arrêté, emprisonné, et mis au secret. Et, ce sont bien les CDF que ‘on veut anéantir : Deux de vos proches au sein des CDF, Ahmad Khazar et Hassan Wafti ont été arrêtés les 15 et 16 mars par les services de la sécurité militaire à Damas pour avoir participé au rassemblement devant le Parlement. Ils ont été condamnés à 55 jours de prison.

 

Pour vous le régime est plus draconien et dans les deux jours suivant votre arrestation, dans la prison de Sednaya, vous serez victime d'une attaque cérébrale. Lorsque, pour la première fois, le 22 avril, vous serez amené très affaibli, devant la Cour suprême de Sécurité de l'Etat un « juge », ce sont deux membres des forces de sécurité qui devront vous y porter, selon les témoins.

 

Accusé de « s’être opposé aux objectifs de la révolution », de « diffusion de fausses informations dans le but d’affaiblir l’Etat » et « d’association à des organisations internationales », vous encouriez la prison à vie. Cependant, en raison d’une « généreuse » amnistie accordée par le Président syrien, le 15 juillet 2004, la Cour a abandonné la dernière charge, bienveillance qui voudrait que vous ne risquiez plus que 15 ans de travaux forcés.

 

Malgré cela, le lendemain du jour ou vous ave été libéré sous caution par la Cour de sûreté, le 17 août dernier, vous avez déclaré : que vous continueriez à vous battre pour les droits de l’homme bien que trop certains déjà d’être déclaré coupable et de devoir retourner en prison.  » Je continuerai et personne n’a demandé que j’arrête ? Ils sont parfaitement au courant que je n’arrêterai jamais. »

 

Ainsi, c’est le sacrifice de votre liberté personnelle auquel vous avez consenti. Acceptez que l’on reste confondu par tant de courage et de détermination.

 

Nous sommes des hommes d’affaires, vous êtes un homme tout court.

 

C’est à cette humanité que nous rendons hommage avec humilité.

 

Et vous voici, de nouveau confronté à une justice inéquitable.

 

Ainsi se dessine une autre permanence :

 

Ce fut vrai en 1991, c’est encore vrai aujourd’hui.

 

Nous connaissons ces parodies judiciaires. certes, il y à des lois, des cours, des juges.

 

Tout a été dit sur ces lois. Depuis le milieu du XVIIIème siècle, Adam Ferguson, le premier - et sans doute le seul - théoricien de la société civile, nous l’avait enseigné : « Si les règles écrites, les formes de procédures et tout ce qui fait la loi cessent de tirer leur force de l’esprit même qui les a inspirés, alors ils ne servent plus à réprimer, mais seulement à couvrir les iniquités du pouvoir »

 

Tous les états, ont aujourd’hui orgueilleusement organisé un système judiciaire, une magistrature :dont l’apparence et l’apparat sont calqués jusqu’à la caricature sur celui des vieilles démocraties.

 

Mais les procès se déroulant devant la Cour suprême de sûreté de l'Etat n’en demeurent pas moins inéquitables.

 

Tout a été dit déjà sur le fonctionnement de ces juridictions spéciales qui ne dépendent même pas de l'Ordre Judiciaire, fut - il lui-même indépendant.

 

Les accusés ne sont pas autorisés à consulter librement un avocat, un des trois juges est un officier militaire, le président de la Cour dispose de pouvoirs discrétionnaires ; les aveux arrachés sous la contrainte ou la torture peuvent être retenus à titre de preuve ; les verdicts rendus ne peuvent pas faire l'objet d'un appel et enfin, la Cour n'est pas tenue de respecter le Code de procédure pénale., les procédures criminelles habituelles ne s’appliquant pas à la Cour puisque cette dernière n’agit pas sous les ordres d’un tribunal supérieur de justice mais sous ceux du Bureau de la sécurité nationale du parti Baath qui est actuellement au pouvoir.

 

Cessons là cette énumération.

 

Un seul mot suffit : les juges n’y sont pas indépendants.

 

Or, de même qu’il n’y a pas d’état de droit sans juges et avocats indépendants, de même l’indépendance des premiers est l’interface ou la garante de celles des seconds. Dans une société démocratique, il ne saurait y avoir de magistrats véritablement indépendants si le barreau ne l’est pas. Mais un barreau ne peut l’être et le demeurer qu’avec des juges suffisamment indépendants pour sanctionner les violations éventuelles de cette indépendance. Ainsi, en tous lieux et en tous temps, le degré constaté d’indépendance des juges et des avocats restera-t-il l’un des meilleurs critères du respect de la démocratie et de l’Etat de droit.

 

Sans doute, la totale indépendance judiciaire reste-t-elle un idéal à atteindre. Dans un jugement récent, en date du 17 octobre 2002, un juge de la Haute Cour de l’Afrique du Sud a déclaré que, dans une société démocratique, l’appareil judiciaire dans son ensemble ne doit pas seulement se dire ou se vouloir indépendant, il doit prouver à l’évidence qu’il l’est véritablement. Et il a ajouté : « L’indépendance et l’impartialité des magistrats, sont au cœur même de la légalité, essentielles pour le bon fonctionnement de la justice. »

 

N’est ce pas assez dire assez dire que l’indépendance des juges ne saurait être qu’un leurre dans une société qui ignore la démocratie ?

Après nous avoir quittés, le 24 octobre prochain, ou un autre jour d'ailleurs, vous devez comparaître devant une de ces juridictions dont vous avez déjà connu les affres.

 

C'est un message d'espoir que je voudrais lancer ici.

 

Cette juridiction vous a déjà libéré sous caution, il y a un peu moins de deux mois.

 

Sans aucune concession, sans aucun angélisme, et tout en prononçant une condamnation aussi ferme contre tout ce qui n'est pas une justice totalement indépendante, acceptons un instant ici l'espérance qu'elle a fait naître.

 

Héraclite d’Ephèse disait : « Sans l’espérance, il n’est pas possible de trouver l’inespéré ».

 

Est-il déraisonnable, ce soir, d’espérer encore l’inespéré ?

 

ESPERONS,

 

Que vos juges veuillent bien admettre qu'un homme qui combat la loi injuste ne combat pas le droit ni l'état de droit au contraire, il oeuvre pour l'instaurer...

 

Qu’ayant estimé un jour, il y a peu, que la détention arbitraire d'un homme ne se justifiait plus lui donne à penser que cette détention jamais plus ne sera nécessaire...

 

Qu’ils veuillent se souvenir qu'il n'est qu'une loi, ici bas, la Loi universelle, celle à laquelle toutes les autres doivent se soumettre, et de façon plus contingente, qu'elle applique dans l'ordre judiciaire, les engagements internationaux que cet Etat a librement signés et que le reste du Monde attend qu'il respecte.

 

ESPERONS,

Que la soumission aux ordres cède à la conscience du Juge indépendant et impartial.

 

Là ils auront rempli leur oeuvre de Cour, et leur mission de sûreté.

 

L'unité et la sécurité du pays en sortiront renforcées.

 

De même que la liberté se respire, l'indépendance se conquiert, se proclame, se défend. Elle ne se décrète pas. C'est d'abord un état d'esprit.

 

Bien avant Paul Valéry, David Thoreau - le chantre de la désobéissance civile - ( que vous pouvez aussi appeler Henry puisqu’il a lui-même interverti ses prénoms au cours son existence) proclamait : « Je ne suis pas né pour être contraint. Je veux respirer comme je l’entends »

 

Mais c’est vous que je veux citer pour la fin. Le peuple syrien a hérité de plusieurs civilisations. Les recherches archéologiques opérées dans le pays qui a embrassé les 3 religions monothéistes : musulmane, chrétienne et juive, ont permis aussi une découverte - c’est vous qui l’avez écrit - le plus ancien mot intelligible désignant la liberté : AMARJI . Et cela, en 2500 ans avant JC.

 

En 1993 écrivant au Forum des ONG de Vienne depuis votre prison, vous aviez voulu terminer en faisant votre ce mot du poète de la Révolution française : « Liberté, mère de toutes les vertus, soit mon dernier refuge »

 

AMARJI donc !

 

ESPERONS… Permettez-nous - à l’instant de vous remettre ce prix - d’espérer pour vous qu’elle sera un havre prochain, un havre de vie, pour vous et le peuple syrien tout entier.

 

 

Bertrand FAVREAU

Bruxelles

8 octobre 2004



Les 21 avocats européens, membres du  Jury du 9ème Prix International des Droits de l’Homme  "LUDOVIC-TRARIEUX » réunis à la Maison du Barreau de Paris, Place Dauphine, le Lundi 26 avril 2004 ont décerné le  9ème Prix « Ludovic-Trarieux » , créé en  1984 (dont le premier Lauréat a été Nelson Mandela alors emprisonné) et décerné tous les ans à un Avocat, sans condition de nationalité ou d'appartenance à un Barreau, qui aura illustré par sa vie, son œuvre ou ses souffrances, la défense des Droits de l'Homme, des Droits de la Défense, la suprématie de l'état de droit, la lutte contre les racismes et l'intolérance sous toutes leurs formes à Akhtam Naisse, avocat syrien , 53 ans, président des Comités de Défense des Libertés Démocratiques et des Droits de l'Homme en Syrie(CDF) , et Vice-Président de la Commission Arabe des Droits de l'Homme.

En tant que militant des droits de l’homme en Syrie, Akhtam Naisse  a été arrêté et  emprisonné plusieurs fois depuis 1991. Plus récemment, il a été à nouveau arête  le 13 avril 2004 par les services de  la sécurité militaire au moment  même où les CDF publiaient leur rapport annuel dénonçant les violations  flagrantes des droits de l'Homme en Syrie. Il est depuis lors maintenu en détention dans un hôpital militaire et sa santé s´est sérieusement détériorée. Il  est aujourd’hui partiellement paralysé. Sa famille n´est toujours pas capable de lui transmettre ses médicaments nécessaires (trouble cardiaque et insuffisance rénale).


Aktham Naisse a comparu le 22  avril 2004 devant la Haute Cour de Sécurité de l´État en Syrie. Il serait accusé d’atteinte aux objectifs de la Révolution (l’unité arabe, la liberté et la socialisme) et de diffusion de fausse information (atteinte à l’image de la Syrie). Devant la Haute Cour de Sécurité de l´État, selon les lois martiales syriennes, il encourt une condamnation á 15 ans de prison.
 

* LISTE ALPHABETIQUE DES MEMBRES DU JURY : Me Brigitte AZEMA-PEYRET, (Commission juridique Amnesty International) , Ms Julia BATEMAN, vice-président de l'IDHAE (IDHAE), Me John BIGWOOD, Bâtonnier désigné de l'Ordre Barreau de Bruxelles (Bruxelles), Me Raymond BLET, IDHBB, (Bordeaux), Me Thierry BONTINCK Trésorier de l’Union des Avocats Européens (UAE) (Bruxelles), Monsieur Bernard CONDAT, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du barreau de Bordeaux, M. le bâtonnier Jean CRUYPLANTS, Bâtonnier de l'Ordre Barreau de Bruxelles, Me Nicole DEHRY, (Commission juridique Amnesty International) , M. le bâtonnier Bertrand FAVREAU, Président de IDHAE, M. le bâtonnier Georges FLECHEUX, Président de l'IDHBP (Paris), Me Philippe FROIN, Vice-président de l'IDHBB, (Bordeaux), Me Marie France-GUET .(Paris), Me Wojciech HERMELINSKI, President of Polish Bar Human Rights Institute, Me Isabelle HUET, IDHBP (Paris), Me Pierre LAMBERT, Président de l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Bruxelles (Bruxelles), Me Joe LEMMER, Secrétaire général de l’Union des Avocats Européens (UAE), Me Christophe PETTITI, Secrétaire général de l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Paris (IDHAE), Me Laurent PETTITI, secrétaire du Conseil de l'Ordre des Avocats du barreau de Paris, Me Michel PUECHAVY, IDHBP.(Paris), Me Jean Pierre SPITZER, Directeur scientifique de l’Union des Avocats Européens (UAE) , Me Hélène SZUBERLA, Vice-président honoraire de l'IDHBB, (Bordeaux).

 

Biographie :


Akhtam Naisse,  a vécu à Damas jusqu’à l’âge de 16 ans. Ses études l’ont conduit au Yémen, en Union Soviétique (qu’il a quittée en protestant contre les privations de liberté qu’il constatait), en Irak, puis au Caire où il a achevé ses études de droit en 1976.

Avocat, à Lattaquie, sa ville natale, il se fait rapidement remarquer pour l’intérêt qu’il portait à la défense des droits humains, insistant sur la nécessité d’abolir les lois martiales et l’état d’urgence pour instaurer un état de droit. En 1977 il refuse de plaider devant la Haute Cour de Sûreté de l’Etat, juridiction aux ordres du gouvernement, et où aucune garantie d’équité ne pouvait être assurée. En Février 1982 ses positions lui valent une première arrestation, il ne cesse en effet de réclamer l’instauration d’un état laïque, respectant les libertés fondamentales, et de rejeter la violence qui se déchaîne entre le gouvernement et les Frères musulmans. Il sera affreusement torturé. Libéré fin 1982, il restera pendant plus d’un an victime des séquelles d’une hémiplégie droite. Aussitôt que sa santé le lui permet il reprend son activité d’avocat et de défenseur des droits humains, mais sous une étroite surveillance policière. Il a publié une étude sur « Les lois et les régimes d’urgence, et leurs répercutions sur les libertés fondamentales et les Droits de l’Homme en Syrie ».(1990).

Le 10 Décembre 1989, il est élu comme porte parole des CDF. Arrêté pour la deuxième fois le 18 Décembre 1991, il sera à nouveau victime de tortures, et après un procès inique, condamné à 9 ans de prison et privé de ses droits civils par un tribunal d'urgence avec cinq autres membres des CDF.  Emprisonné à la prison de Sednaya, sa santé s’est gravement dégradée mais il ne sera gracié qu’en mai 1998, et libéré le 3 juillet 1998. .Après sa libération, il continue ses protestations, en vue d’obtenir la levée de l’état d’urgence maintenu en Syrie depuis 1963. Il subit un harcèlement incessant destiné à éloigner sa clientèle et qui veut empécher la poursuite de son activité d’avocat.

Le 27 août 2003, il a été convoqué par le service de la sécurité militaire à Damas. Il lui a été signifié que toute activité des CDF était interdite jusqu’à nouvel ordre. Au cours de l'entretien, il a en outre été insulté et menacé par les officiers présents. Les CDF avaient peu de temps auparavant réitéré leur demande aux autorités, de permettre le retour des exilés Syriens dans leur pays.

A la suite d’une pétition intitulé « La fin de l’état d’urgence en Syrie » (publiée sur Internet fin janvier 2004), Aktham Naisse a été convoqué, le 11 février 2004, au centre des services militaires secrets, division « al-Mintaqa » à Damas, où il a été détenu et interrogé par deux officiers des services secrets jusqu’à après minuit. Selon les officiers , le nombre des signataires, qui dépasse 3500, démontrait que les CDF avaient des contacts internationaux illégaux. Leurs accusations étaient bâtires sur des conversations interceptées sur la ligne téléphonique d’Aktham Naisse, mise sous surveillance par les autorités Syriennes.

Pendant la détention, les officiers harcelé et menacé de l’empêcher de quitter la Syrie alors qu’il devait partir deux jours plus tard, et s’il parait, de lui interdire d’y rentrer. Ils ont même insinué que d’autres choses ou accidents « pourraient arriver ». Il a été relâché dans l’après midi du 12 février.

Le 8 Mars 2004, - date anniversaire de la prise du pouvoir par le parti Baas- Akhtam Naisse, après avoir résisté aux manœuvres d’intimidation et pressions des autorités, prenait la tête d’une manifestation pacifique organisée par les CDF devant le Parlement - première manifestation de ce type en Syrie depuis quarante ans - contre l’état d’urgence et pour l’instauration d’un état de droit. La manifestation fut brutalement dispersée par la police et Akhtam Naisse et nombre de manifestants arrêtés puis libérés le soir.

 

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